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En ce concert, véritablement national, que nous donnèrent « les Amis des Cathédrales, » notre école d’orgue, du XIIIe siècle à nos jours, depuis Perotin le Grand, organiste de Notre-Dame, de Notre-Dame encore inachevée, jusqu’à César Franck, ne fut pas oubliée. Et les maîtres polyphonistes de la Renaissance, de la nôtre toujours, les Sermisy, les du Caurroy, les Mauduit, après ceux de notre moyen âge, vinrent attester par quelques-uns de leurs chefs-d’œuvre, ceux-là déjà connus, la continuité, j’allais écrire l’éternité de notre génie.

« Opus Francigerum. Ouvrage français. » Autrefois, à l’architecture religieuse, déshonorée depuis parle mot « gothique, » le consentement universel avait décerné ce beau nom. Il est juste que la musique à son tour, la plus ancienne musique, le réclame et le garde à jamais.


« Les Amis des Cathédrales. » Ils l’étaient aussi, nous l’étions tous avec eux, nous, les musiciens, de l’église plus humble, mais si belle encore, et vénérable, et chérie entre ses sœurs parisiennes, qu’a frappée, — en quel jour et à quelle heure ! — un obus allemand. Dans ce forfait nouveau des Barbares, il y eut deux crimes ensemble : l’un contre la chair, et la chair innocente, l’autre contre l’esprit. Et ce dernier même fut double, commis contre un sanctuaire où l’Esprit Saint avait trouvé dans l’esprit de la plus pure musique son interprète et son serviteur. « Mon royaume est dans l’air, » disait Beethoven. Un grand artiste, un apôtre fervent avait fait de l’atmosphère de ces nefs un nouveau royaume aérien. Il l’avait peuplé de mélodies et d’accords sacrés, oubliés, que dis-je ! inconnus avant lui. Que de fois, pendant les jours de fête funèbre dont se compose la sainte semaine, cette musique, en ce lieu, n’a-t-elle pas exprimé, commenté le mystère de toute souffrance : de la souffrance divine, pour la rappeler ; de la souffrance humaine, pour l’unir à celle de Dieu ! Et voici que le sanctuaire lui-même, au jour le plus douloureux, a souffert à son tour. De grandes choses s’étaient déjà passées dans cette église ; une chose plus grande encore, et plus terrible, s’y est accomplie. Eglise des artistes, et désormais des martyrs, ses pierres, qui chantaient seulement, ont crié. Dieu ne sera pas sourd à leurs cris.


CAMILLE BELLAIGUE.