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chair et qui murmuraient : « Nous abandonnes-tu ![1] » Quand une musique évoque des souvenirs et des paroles de cet ordre-là, c’est la preuve qu’elle dépasse, de très haut, son sujet, et qu’elle va, bien au-delà de la fiction et de l’apparence, atteindre en nous à l’universelle, à l’éternelle vérité.

Le « neveu de Rameau, » qui n’était pas toujours tendre pour son oncle, et pour la musique de son oncle, avouait cependant : « Il y a là des airs de danse qui dureront éternellement. » Les uns devront leur dures à leur franchise, à leur gaieté robuste sans trivialité, à leur précision élégante et spirituelle ; les autres, à leur poésie. « Poésie sans morbidezza, » disait Henri Heine à propos de notre opéra-comique ; « poésie jouissant d’une bonne santé. » Oui, mais poésie tout de même, et qui, trop rare chez Rameau, nous charme d’autant plus qu’elle nous surprend davantage. C’est ainsi que dans l’acte des Champs-Elysées, vers la fin du second passepied (en mineur) qui vient tempérer la vivacité pimpante et trépidante du premier, un simple coup d’archet de violoncelle fait courir sur l’orchestre le frisson d’une émotion légère. La poésie encore, mêlée de sensibilité furtive, donne un prix singulier au chœur dansé qu’on a reporté, sur d’autres paroles, du prologue, supprimé à l’Opéra, au tableau des Champs-Élysées. Le texte en est maintenant celui-ci, qu’aussi bien on chantait jadis au Conservatoire :


Dans ce doux asile,
Par nous soyez couronné,
Venez.


La musique en est exquise. Rien que l’effet du rejet mélodique et rythmique sur le mot : « Venez, » est délicieux. Et le thème continu s’enroule et se déroule, suspend et reprend son cours avec souplesse, j’allais dire avec nonchalance. Plus rien ici de pointé, de piqué ; tout cède, tout ploie ; au lieu de se raidir, tout se détend. C’est une guirlande de sons.

Et pourtant, pourtant…

Victor Cherbuliez a parlé quelque part des « enchantemens d’une musique qui fond le cœur. » Était-ce à propos de Gluck, ou plutôt peut-être de Mozart ? On ne saurait, en finissant, parler ainsi de Rameau. Sa musique n’est que rarement cette enchanteresse. Un de ses contemporains, un de ses admirateurs, écrivait d’Hippolyte et Aricie :

  1. Saint Augustin, Confessions.