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et la verbalité. L’œuvre de Gluck abonde en exemples sublimes de ce langage intermédiaire entre le chant et la parole, qui participe des deux et sait unir à toute la signification des mots, toute la beauté, toutes les. beautés des sons. Les plaintes d’un Orphée (premier acte), le défi d’une Alceste (premier acte également), aux « Divinités de l’Achéron, » le songe d’Iphigénie (première scène d’Iphigénie en Tauride), et tant d’autres discours lyriques, les voilà, dans l’ordre du récitatif, les « impérissables modèles d’une force expressive » où Rameau n’atteignit pas avant Gluck, et que nul autre après celui-ci ne devait surpasser.

Encore si Rameau ne traitait en ce style que ce que M. Lasserre appelle « les parties sacrifiées, les passages dramatiques tempérés. » Mais c’est à des scènes, à des situations capitales qu’il applique un mode d’expression dont la faiblesse, la sécheresse et la fastidieuse uniformité, loin de les traduire, les trahissent. Il arrive alors que les débats les plus passionnés, les conflits les plus tragiques, ou qui devraient l’être, languissent et ne nous touchent point. Quand il faudrait que l’intérêt, que l’émotion fussent au comble, l’un et l’autre se dérobent. De là, dans le cours, ou plutôt sur les sommets de la tragédie musicale, des manquemens pu des vides soudains : tels les dialogues entre Pollux et Télaïre, entre Pollux et Castor, entre Castor et Télaïre. En chacun de ces entretiens, qui sont comme les grandes étapes, les grandes péripéties psychologiques du drame, alors que les âmes devraient se découvrir, se livrer à nous tout entières, il semble qu’elles se ferment et s’enferment dans les formules figées de la plus froide, de la plus insignifiante conversation.

Cherchons donc en dehors du récitatif les véritables beautés de l’œuvre de Rameau. Elles appartiennent à trois ordres différens : les chœurs, les divertissemens dansés, les airs. C’est en vain qu’on nous a dit un jour : « Rien ne perd aussitôt sa fraîcheur qu’une effusion lyrique, fût-elle la plus touchante du monde[1]. » La pompe funèbre de Castor, au début de l’opéra, n’est pas autre chose, et c’est, et ce sera toujours une chose superbe. Sans doute, en un sujet similaire, et précisément par l’ampleur, par je ne sais quelle générosité plus grande de l’effusion lyrique, Gluck, le Gluck de la première scène d’Orphée l’emporte encore et nous attendrit davantage. Même ici, le génie de Rameau se concentre plutôt qu’il ne se déploie. Mais avec quelle force et quelle noblesse ! L’introduction symphonique, d’un

  1. M. Laloy, op. cit.