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même de leur existence demeurera toujours une vue de l’esprit. Aussi conçoit-on comment certains savans, tels que Duhem, ont préféré éviter ces imaginations, répudier cette méthode paradoxale qui explique le connu par l’inconnu, le visible par l’invisible et se borner à des résultats plus directs de l’expérience, au moins en ce qui concerne la dernière partie physique de la théorie ; l’interprétation atomique de la chimie étant admise par les énergétistes eux-mêmes[1].

L’expérience, à vrai dire, tout savant, et dans tous les temps, a toujours fait profession de s’y conformer, les atomistes comme les énergétistes et même ces philosophes du temps passé qui nous semblent, à nous, avoir été les rêveurs les plus chimériques. Chacun d’eux a prétendu réduire l’hypothèse à son minimum et restreindre ses postulats à ce qui lui paraissait évident. Mais c’est devant l’affirmation de l’évidence que les esprits humains s’entendent le moins. Arrivé au fossé qui sépare l’observation de l’interprétation, chacun, qu’il l’avoue ou non, jette quelques blocs dans l’eau et saute le plus légèrement possible sur l’autre rive ; après quoi, les sceptiques qui veulent suivre croient parfois s’apercevoir que ces blocs d’aspect si stable ont été posés dans le vide. Il est néanmoins logique de penser que, plus on réduit le nombre des hypothèses, moins on est exposé à tomber au passage dans le torrent. C’est le premier point que vise l’Énergétique en serrant de plus près les faits et bornant souvent son intervention à l’établissement de relations numériques. Du même coup, elle retire à la dynamique son importance exagérée et lui dénie la prétention ambitieuse de vouloir, à elle seule, donner une explication mécanique de l’univers. Elle montre que cette explication est insuffisante parce qu’elle est fondée sur une simplification prématurée ; et, pour se conformer davantage à Inobservation, elle prend, — ce qui est sa principale nouveauté scientifique, — un caractère largement généralisateur. Déplacemens de la matière dans l’espace, soit ; mais aussi modifications de son état sur place et intervention du temps ; non plus cycles sans fin, suivant l’image classique du serpent se mordant la queue, mais déroulement du cycle et évolution progressive suivant une courbe ouverte.

  1. Dans une polémique contre Berthelot, Duhem lui a vivement reproché de s’être oppose à la chimie atomique de Wurtz.