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comme une araignée sécrète son fil, sans chercher à quoi ce til s’accroche, ni d’où en provient la substance.

Mais, en contraste avec ces catégories de savans dont les uns, les plus logiques, ne s’intéressent pas à l’explication des phénomènes et dont les autres croiraient volontiers toutes nos explications définitives, d’autres savans sont plus curieux et plus soucieux de scruter les origines de leur foi scientifique. Parmi eux se rangent beaucoup de mécaniciens comme Duhem, qui, appelés à utiliser sans cesse des concepts abstraits de force, de masse, d’énergie, de force vive, d’accélération, ont été tentés de chercher ce qui se dissimulait de précis et de concret sous ces termes conventionnels. Et, d’autre part, bien des géologues et des astronomes, historiens et prophètes par métier, habitués à jongler avec les millénaires ou les milliards de lieues, se sont trouvés réfléchir davantage sur la futile minceur de ce pont lumineux qui porte notre présent entre deux abîmes de nuit. Ils sont plus sensibles au caractère provisoire de tout ce qui à d’autres semble pour jamais réglé, sans même en excepter peut-être ce lien factice de nos théories scientifiques, apte seulement à coordonner un état de connaissances momentané. Il leur arrive parfois de songer aux deux mystères du commencement et de la fin, ou à celui de l’éternité ; ils se prennent à rêver en poètes devant une nuit étoilée ; ils font une place dans leur pensée pour l’abstraction métaphysique. Mais, parmi ceux que sollicitent de tels problèmes, on observe encore deux tendances opposées.

Les uns considèrent qu’il existe et existera toujours un inconnu, un inconnaissable, étranger, non seulement à la physique, mais à toute spéculation humaine. Ils ne croient pas que le raisonnement puisse pénétrer dans ces espaces obscurs qui échappent d’autre part à l’observation ; ils admettent l’infirmité fondamentale de notre raison, tout aussi bien que celle de nos sens et, par conséquent, ils se résignent à ne pouvoir opérer aucune détermination exacte avec des instrumens nécessairement imparfaits par le fait même qu’ils sont humains. En deux mots, ils considèrent, eux aussi, la métaphysique comme un leurre subtil et se fondent pour la rejeter sur les éternelles spirales qu’y décrit la pensée humaine entre un certain nombre de conceptions toujours les mêmes, imaginées depuis la plus haute antiquité et toujours reprises périodiquement sans aucune