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échapper ce que les artisans d’autrefois avaient déposé dans la matière périssable d’imagination et d’esprit. Seule la porte de pierre a gardé le trésor qu’on lui avait confié. Elle semble uniquement placée là pour attester la beauté des choses disparues, et en donner tout ensemble la mesure et le regret.

Fatigués de tant d’aridités embrasées, les yeux découvrent avec délices, au bas de la colline, des masses fraîches de verdure, des roseaux, des figuiers, des oliviers argentés, des allées d’orangers, des mûriers pleins d’oiseaux, et de grands arbres centenaires qu’on m’a dit être des micocouliers. De ces frondaisons brillantes surgit la tour d’un minaret brûlée par des siècles de soleil, et que surmonte un mince campanile, sur lequel une cigogne, qui navigue, je ne sais où, en ce moment dans le Sud, a laissé son nid de broussailles. Un mur bas de jardin, chargé de toutes les plantes qui croissent sur les ruines, entoure ce bois sacré, où, dans la végétation qui l’embaume et l’étouffe, la nécropole des sultans mérinides achève de mourir doucement.

Il y a là Abou Youssef, qui, au dire de l’historien Ibn Kaldoun, conduisait la guerre sainte avec sagesse et profit, s’emparant des royaumes chrétiens, détruisant les palais, mettant le feu aux moissons, abattant les arbres de sa propre main pour encourager ses soldats ; au reste affable, généreux, jeûnant le jour, priant la nuit, quittant rarement le chapelet, voulant du bien aux saints, fort amateur de livres de morale, et lui-même écrivant de très belles pages de piété. Il mourut à Algésiras, entre la prière du matin et celle de l’après-midi. Que Dieu lui fasse miséricorde !… Il y a là Abou Yakoub, son fils, qui soumit à son pouvoir l’Andalousie tout entière, reçut des rois d’Egypte, de Syrie et du Sultan de l’Ifrykia des présens magnifiques, et périt à Tlemcen, frappé au ventre par un eunuque. Dieu seul est durable et éternel !… Il y a là Abou Amer, qui assassina ses deux oncles et mourut à Tanger, un an après sa proclamation. Que Dieu lui pardonne et l’agrée !… Et surtout, il y a là le grand Abou Hassan, suprême éclat des Mérinides à leur déclin, dont l’empire s’étendit sur plus de la moitié de l’Espagne et sur toute l’Afrique du Nord, de Tanger jusqu’à Tunis. C’est lui qui releva l’enceinte de Chella, fit bâtir la porte radieuse que j’admirais tout à l’heure, construisit, pour lui-même et ses ancêtres, les mausolées et les pieux édifices, dont je n’aperçois plus que ce haut campanile parmi