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Dans certains organes de la presse allemande, se laisse entendre, pourtant, une note moins furibonde : le Börsen Kurier affiche, — y avait-il à cela quelque motif financier ? — des sentimens à peu près humains. Les journaux catholiques et notamment la Germania, tout en couvrant naturellement de fleurs Mgr Raess, s’efforcent d’épargner les injures aux autres Alsaciens-Lorrains. Même tendance parmi les journaux démocratiques ; dans la Frankfurter Zeitung, M. Sonnemann, son directeur, après avoir rendu hommage à la « passion nationale surexcitée à un degré éminent » qui animait M. Teutsch et les Alsaciens-Lorrains, traite au contraire de « grotesque et sauvage » le spectacle que lui avait donné le Reichstag dans la triste séance du 18 février[1].

Les journaux socialistes, tels que le Courrier de Franconie, de Nuremberg, étalent aussi les plus généreux sentimens ; mais, en dehors de quelques chefs courageux, comme Liebknecht et Bebel, capables d’affronter le cachot, d’exposer même leur vie pour la défense de leurs idées, qu’était donc alors et de quoi était capable le parti social-demokrat allemand ?

Cette année-là, un « appel aux travailleurs allemands, » inséré dans le Neu Social-Démokrat du 1er mars, invita tous les groupes ouvriers de Berlin à célébrer avec éclat l’anniversaire du 18 mars, jour du soulèvement de la Commune de Paris. Cette date du 18 mars était justement aussi celle des troubles révolutionnaires survenus à Berlin en 1848 et durant lesquels, devant la fureur du peuple, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, qui en devint fou peu après, dut, tremblant de peur, subir la honte de se découvrir, sur le seuil même de son palais, devant les cadavres des victimes de ses soldats. Tous les ans, depuis lors, une cérémonie avait lieu sur la tombe de ces combattans des barricades. Cette année, pour la première fois, les démocrates l’oublièrent ; le 18 mars parisien prit la place du 18 mars berlinois, et, de cette substitution, le gouvernement prussien se frotta les mains : les souvenirs révolutionnaires du voisin lui plaisaient beaucoup plus que les siens.

« Nous nous sommes trouvés là, — raconte un journaliste français présent à cette fête révolutionnaire allemande, — au milieu de quinze cents personnes très paisibles, dont un tiers

  1. Frankfurter Zeitung, 19 février, reproduit par le Monde, 23-24 février.