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plus formidable menace, au moment où les plans de l’adversaire étaient sur le point de réussir. Non seulement la gigantesque offensive allemande a été arrêtée, mais la confiance allemande a subi une atteinte, dont les conséquences politiques peuvent être singulièrement graves. Une fois le front rompu au point de suture des deux armées, une fois la brèche ouverte à Saint-Quentin, contre lequel des deux alliés l’offensive allemande allait-elle se tourner? Ludendorff entendait-il avancer, par Amiens, sur la mer, rejeter les armées de Haig vers le Nord, les acculer à la côte et les contraindre à capituler? Entendait-il se précipiter, à travers la brèche, par la vallée de l’Oise, sur Paris? Ce doute n’est plus possible, quand on connaît les dispositions de l’ennemi et ses ordres de marche. L’objectif immédiat de son offensive était Paris; l’action ne s’est orientée vers Amiens que sous la pression des circonstances... Le 21 et le 22 mars, l’offensive brise la résistance de la 5e armée anglaise et ouvre la brèche. Le 23, la Somme franchie à Ham, le canal Crozat à Saint-Simon, à Jussy et à Tergnier, les colonnes allemandes convergent par toutes les routes, non pas vers Amiens, mais vers Noyon, c’est-à-dire vers Paris. Les Français accourent à temps ; ils établissent, de la gauche vers la droite, une digue qui s’allonge rapidement ; ils cherchent à opérer leur jonction avec l’aile droite anglaise, qui se replie sur Amiens. L’effort allemand change de direction; les masses ennemies s’infléchissent vers Amiens; elles courent à la brèche qui fuit devant elles; mais, le 28, la brèche est fermée, et l’ennemi rencontre, dans toutes les directions, un front solide et bien défendu. Alors seulement il se décide à tenter un nouveau choc pour renverser la digue française; le matin du 30, il attaque avec fureur de Moreuil à Lassigny, Paris est encore son objectif; il cherche à forcer le passage vers Clermont et Compiègne; d’après les ordres, ces deux villes doivent être atteintes à dix heures du matin. Si les faits avaient répondu à ces insolentes prévisions, les Allemands seraient entrés à Paris le 1er avril. Dès lors, la poussée vers Amiens s’est accentuée; mais l’intention primitive de marcher sur Paris apparaît avec une indiscutable évidence... Pendant cinq jours, la crise a été grave, et le péril terrible que l’on a couru fait paraître presque prodigieux les événemens qui l’ont conjuré. »

On voudra bien excuser la longueur de cette citation ; mais il nous a semblé inutile de refaire un tableau que nous n’aurions fait ni mieux ni aussi bien. Nous nous contenterons d’ajouter, que de même qu’ayant manqué Paris, l’ennemi à visé Amiens, de même, Amiens manqué à