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de Picardie, est un être extrêmement curieux, qui se résigne à habiter des constructions en terre, qui n’a pas de salle de bain, et qui n’a pas honte d’appuyer un tas de fumier aux murs de sa maison ; mais vos soldats savent, d’autre part, que le fermier est accommodant, que la fermière est une ménagère accorte et active, et que les fils se sont battus et se battent en héros. Quand on quitte la ferme, on fait à ses habitans les plus touchans adieux, on promet de s’écrire, et plus d’un de vos soldats écrit en effet. Un officier interprète, qui a traduit plusieurs de ces lettres en français, afin de les expédier aux destinataires, m’a dit qu’il était obligé, assez souvent, d’atténuer les expressions sentimentales dont les lettres étaient toutes semées à l’adresse de Mme Jeanne, ou de Mme Henriette, ou de Mme Joséphine. Donc, dans la ville d’Albert, qui a été terriblement bombardée, il y avait une fermière qui habitait à l’extrémité d’un faubourg. Tous les jours, dans la soirée, un petit soldat anglais venait chez elle ; il ne savait pas beaucoup de mots français, et, en entrant, il n’en disait que deux : « Bonne madame, » et il s’asseyait à côté de la cheminée, et restait là une heure ou deux, sans rien dire, sans demander à manger, sans demander à boire, simplement pour avoir l’illusion du « home. » A la fin de l’été dernier, le régiment partit en première ligne. Quand il revint des tranchées, il n’y eut plus de visites du petit soldat, mais, la première fois que la brave femme sortit de sa maison, elle rencontra un groupe d’Anglais, qui l’arrêtèrent : « Bonne madame, petit soldat tué. » La femme répondit, et je ne sais pas s’ils comprirent, mais je vous répète la phrase : « J’allais tous les jours, jusqu’à présent, mettre des fleurs sur la tombe d’un Français que j’avais soigné ; maintenant, ce sera deux tombes que je visiterai, et deux bouquets que j’emporterai. »

Vos compatriotes qui se battent en France ont été surpris et émus profondément de constater que les Français sont attachés à leur, foi, que les églises n’étaient point vides, et que les actes de religion accomplis par nos soldats ne pouvaient se compter. D’autre part, ou peut rendre cet hommage aux autorités anglaises qu’elles ont eu le respect scrupuleux de nos églises et de nos chapelles, même détruites, même abandonnées. Un aumônier français, d’une brigade canadienne, m’a rapporté qu’au mois de mars 1917, il avait dit la messe dans