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participation du pays à la direction des affaires par des réunions périodiques de délégation des corps électifs, tel est le total des réformes que demandaient les hommes les plus modérés, la bourgeoisie, la noblesse elle-même, tous convaincus que ces réformes réduiraient à l’impuissance les quelques milliers de révolutionnaires qui s’efforçaient encore de terroriser le pays. Une immense espérance soufflait sur la Russie, les classes éclairées ne doutaient plus d’une libération prochaine annoncée par des rumeurs venues de haut, ou par des traits inattendus qu’elles interprétaient comme les symptômes précurseurs d’une ère nouvelle.

En février 1881, le romancier Dostoïewsky mourait à Saint-Pétersbourg. Sous le règne de Nicolas Ier il avait été condamné et envoyé dans les mines de Sibérie. Gracié après y avoir passé dix ans, il était resté, depuis sa libération, étranger aux agitations politiques. Mais, dans ses romans où il s’était fait l’organe des revendications des classes souffrantes, il avait témoigné de tant d’amour et de compassion pour elles que ses écrits lui avaient valu un ascendant extraordinaire sur la jeunesse et les classes moyennes. On devait donc s’attendre à des manifestations le jour de ses funérailles, et la question se posait de savoir si le gouvernement les interdirait ou s’il les tolérerait telles que les avaient réglées les organisateurs. C’est cette dernière solution que fit prévaloir la volonté d’Alexandre ; elles eurent lieu et le gouvernement s’y fit représenter. L’incident valut à l’Empereur un regain de popularité, d’autant plus marquée qu’on s’attendait à voir paraître d’un moment à l’autre l’ukase accordant une constitution.

Dans les premiers jours de mars, elle était prête à être promulguée. Mais le texte n’en fut envoyé au Messager officiel que le 13 mars et presque à l’improviste. L’Empereur ayant appris qu’un nouveau complot venait d’être découvert avait eu à cœur de prouver sur-le-champ que les tentatives criminelles ne pouvaient plus modifier ses intentions libérales. Mais, le même jour, à l’improviste, un événement tragique les remettait en question. Au début de l’après-midi, après une courte promenade, Alexandre rentrait au Palais d’Hiver lorsqu’un nihiliste nommé Ryssakof qui l’attendait au passage lança sur lui une bombe. Bien qu’en faisant explosion, elle eût brisé la voiture, blessé ou tué plusieurs des cosaques qui formaient l’escorte,