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avant, n’auraient osé dénoncer les causes de son impopularité, les reconstituaient maintenant en toute liberté, en émettant les vœux les plus ardens pour le succès de ces importantes réformes.

D’autre part, l’Empereur s’attachait à multiplier les preuves pratiques de son bon vouloir. Dans un procès politique engagé devant le tribunal de Kiew, deux accusés avaient été condamnés à mort ; la peine fut commuée en celle d’un internement en Sibérie ; des condamnations aux travaux forcés furent également adoucies. Dix-neuf cents étudians qui remplissaient les prisons furent mis en liberté. On en avait exclu deux mille des universités et des gymnases ; il leur fut permis d’y rentrer. Enfin, plus de quatre mille individus soumis à la surveillance de la police en furent libérés. La Russie sortait du marasme et du régime de terreur que lui avaient imposés les forfaits du nihilisme et ses menées audacieuses. Il s’en fallait de beaucoup cependant qu’il s’avouât vaincu et fût disposé à déposer les armes. En décembre, des émeutes d’étudians éclataient à Moscou. A Saint-Pétersbourg et ailleurs, la police découvrait des imprimeries clandestines ; elle y saisissait des proclamations dans lesquelles l’Empereur et son ministre Loris Mélikoff étaient menacés de mort.

Ces épisodes, qu’Alexandre considère comme les dernières convulsions de l’anarchie dont il se flatte de s’être rendu maître, ne le détournent pas de son entreprise libérale, dans laquelle il persévérera jusqu’à sa mort, tenant à donner à son peuple des gages de sa sincérité. Du reste, s’il ne redoute plus au même degré que quelques mois avant le péril que le nihilisme faisait courir à l’Empire, il en voit un toujours menaçant pour la sûreté des dynasties régnantes dans les agitations du Parlement français dont, histoire éternelle de la paille et de la poutre, il trouve déplorables les exemples. En se rappelant que des sujets russes résident, vivent, en France en grand nombre, il craint qu’ils n’y subissent l’influence de l’esprit révolutionnaire. Il éprouve une appréhension analogue pour l’un de ses fils, le grand-duc Wladimir, qui réside en ce moment dans « la Babylone moderne. » Le 11 octobre, de Livadia où lui-même passe l’automne, il lui télégraphie : « Je trouve tout à fait inutile que vous restiez si longtemps à Paris. — Alexandre. »