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Je ne prétendrai point que nous ayons été en bons termes du temps de Napoléon Ier, mais je crois qu’on peut dire que vous combattiez plutôt l’ambition d’un homme que la nation elle-même, et que ce furent là les derniers éclats de nos dissentimens. Nous sommes loin de la fameuse expédition du camp de Boulogne. Voyez plutôt : à cent douze ans de distance, le 9 août 1914, les premiers transports anglais arrivaient au secours de la Belgique et de la France. Les troupes débarquaient à Boulogne, et s’établissaient, — j’ai vu leurs tentes blanches et leurs petits drapeaux autour de la colonne de la Grande Armée, — à l’endroit même où, en 1802, le Premier Consul méditait d’envahir l’Angleterre.

On ne peut s’étonner qu’il ait fallu un certain temps, après le Premier Empire, pour rétablir entre les deux pays cette liberté de jugement qui fait qu’on reconnaît les qualités d’autrui, et qu’on leur rend justice. Même sous Louis-Philippe, qui avait, en politique étrangère, la prudence des dynasties nouvelles, les relations entre nos deux pays ne furent pas toujours telles que les eût rêvées le Roi constitutionnel. Chacun sait qu’en 1840 et au début de 1841, lorsque la politique anglaise était dirigée par Palmerston et la nôtre par Thiers, puis par Guizot, nous étions divisés au sujet de cette fameuse question d’Orient, qui n’est plus, aujourd’hui, qu’un article du questionnaire universel. L’Entente cordiale ne put s’établir que lentement, par degrés, avec des retours offensifs de l’ancien esprit, avec des réconciliations, des progrès, des heures de doute et d’hésitation, de nouveaux progrès. Elle fut d’abord une sympathie personnelle entre la famille royale de France et la reine Victoria. Entre les gouvernemens, elle ne correspondit point à son nom, dès le début. Selon les temps, on pourrait la nommer : la recherche d’un accord nécessaire troublé par la défiance ; puis une entente sans intimité ; puis, à l’épreuve, un sentiment de nos destinées communes, un remords parfois de ne l’avoir point suivi ; l’appel, de plus en plus fort, de mieux en mieux entendu, d’une voix qui nous criait, aux uns et aux autres : « Vous êtes faits pour marcher ensemble ; vous avez les mêmes ennemis ; votre avenir commun est dans votre amitié. »

Ce fut à l’automne de 1844 que Louis-Philippe fit, à la reine Victoria, la première visite de courtoisie rendue par un roi français au souverain du Royaume-Uni.