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de ne pas lui donner satisfaction. Sa démission fut donc acceptée et le général Chanzy nommé à sa place.

Le Flô quitta Berlin au mois de mars.

Dans le dernier entretien qu’il eut avec l’Empereur, le 11 mars, on remarque de la part du souverain un redoublement de bienveillance qui ne s’adresse pas seulement à l’ambassadeur démissionnaire, mais aussi à la nation qu’il représente.

« Pour ce qui est de votre pays, je ne puis que vous répéter le langage que je vous ai toujours tenu, notre intérêt commun devrait nous faire un devoir de nous unir. Je ne sais aucune question qui puisse nous diviser et il y en a beaucoup sur lesquelles il serait désirable que nous marchions d’accord. La question d’Orient pourrait être de ce nombre ; je n’ai de ce côté aucune ambition personnelle. Je n’ai recherché dans les derniers événemens qu’une amélioration du sort des chrétiens soumis à la Turquie ; il serait malheureux qu’après tant de sacrifices et de sang versé, nous n’y parvinssions pas. Je regrette profondément les décisions du Congrès de Berlin par rapport à la Bulgarie : le partage de cette nation en deux provinces dont l’une a acquis l’indépendance et dont l’autre reste soumise, à peu de chose près au même régime qu’autrefois, est une anomalie pleine de périls. Rien ne saurait empêcher les Bulgares de la Roumélie orientale d’aspirer à la même condition que leurs frères du Nord et l’agitation y sera permanente. Je n’entends pas cependant y faire la police moi-même. Mais l’Europe tout entière devrait se hâter de conjurer le danger de cette situation. »

Il était bon prophète en parlant ainsi et rendait l’Angleterre responsable de l’état de trouble que la situation créée dans les Balkans par le traité de Berlin faisait peser sur l’Europe :

« Lord Salisbury sait bien que la Constitution bulgare n’est pas viable ; il en a fait l’aveu ; mais il estime qu’elle durera bien un an ou deux et que ce sera autant de gagné pour le repos de l’Europe ; c’est une politique bien coupable. Je la subirai cependant ; j’ai donné ma parole et je veux la tenir. »

Après avoir parlé de l’Angleterre avec cette amertume, il parla avec amitié de la France en répétant qu’il serait heureux de la voir s’unir à lui, et le général Le Flô emporta le forme espoir que nous pouvions compter désormais sur l’amitié de la Russie. La visite qu’il fit le lendemain au prince Gortschakoff