Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas trop pour le dédommager et le consoler des impressions douloureuses que causaient à son patriotisme les spectacles dont il était parfois le témoin, tel celui qui lui fut donné le 9 décembre 1871. Ce jour-là fut célébrée à la cour la fête annuelle des chevaliers de Saint-Georges. En vue de cette solennité, étaient arrivés à Saint-Pétersbourg divers membres de l’Ordre, sujets allemands : le prince Frédéric-Charles, le duc de Mecklembourg-Schwerin, le maréchal de Moltke, le prince de Hohenlohe, les généraux d’Alvensleben et de Werder. Ces personnages, qui d’ailleurs s’étaient fait un devoir d’aller s’inscrire à l’ambassade de France, assistèrent au banquet qui termina la fête. Le Tsar le présidait. Au dessert, il prit la parole : « Je bois à la santé de l’empereur et roi Guillaume comme le plus ancien chevalier de Saint-Georges et à celle des chevaliers de notre ordre militaire, à celle de sa brave armée dont je suis fier de voir aujourd’hui parmi nous les si dignes représentans. Je désire et j’espère que l’amitié intime qui nous unit se perpétuera dans les générations futures ainsi que la fraternité d’armes entre nos deux armées datant d’une époque à jamais mémorable. J’y vois la meilleure garantie pour le maintien de la paix et de l’ordre légal en Europe. »

Après avoir lu ce toast chaleureux, Le Flô écrivait : « Il est médiocrement gracieux pour nous ; mais il n’y faut voir qu’un excès de courtoisie. »

Quelques mois plus tard, ce fut un autre incident dont l’ambassadeur s’inquiéta d’autant plus que l’Empereur, bien qu’il le vît fréquemment, ne lui en parla pas. On annonçait de tous côtés qu’Alexandre allait partir pour Berlin et devait s’y rencontrer avec François-Joseph, empereur d’Autriche. Cette réunion des trois empereurs avait été préparée par Guillaume Ier qui voulait se montrer à son peuple entouré des deux autocrates. Alexandre partit quelques jours plus tard pour aller au rendez-vous où l’appelait son oncle. Le vicomte de Gontaut-Biron, qui était alors ambassadeur à Berlin et qui reçut de la bouche du Tsar l’assurance que l’entrevue des trois souverains ne présentait rien d’inquiétant pour la France, raconte dans ses souvenirs que le monarque russe, avant de quitter sa capitale, avait annoncé son prochain départ au général Le Flô. C’est une erreur que démontre avec évidence la correspondance de celui-ci. Il s’y montre inquiet et presque blessé du silence