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la garde impériale et le corps des grenadiers. Dans ce rôle, et quoique intraitable sur les questions de discipline, il se fait chérir des soldats par son esprit de justice et par sa bonté. Chargé parfois de missions importantes, il s’y distingue par l’habileté avec laquelle il les accomplit. C’est ainsi qu’une émeute d’étudians ayant éclaté à Helsingfors, en Finlande, à propos d’une chaire d’enseignement qu’ils demandaient et qu’on leur a refusée, il y est envoyé avec de pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre : « Tu exileras en Sibérie les principaux coupables, » lui a dit son père. Mais, avant d’en arriver là, l’envoyé prêche aux émeutiers la soumission ; il les supplie de ne pas l’obliger à recourir à des mesures de rigueur, il leur parle en ami. Sa voix est entendue, ils rentrent dans le devoir sans qu’il ait été nécessaire de les châtier.

Peut-être est-ce à la suite d’incidens de ce genre que, dans le monde de la Cour, le grand-duc héritier passe pour manquer de fermeté. Il n’en est rien, et si parfois on le blâme de se plier trop facilement aux exigences de l’Empereur, il pourrait objecter que c’est par respect pour celui-ci et pour ne pas lui porter ombrage. Mais cette attitude ne l’empêche pas d’avoir son franc-parler, de savoir ce qu’il veut et où il va. De tous les princes de la famille impériale, il est celui qui s’intéresse le plus aux choses de France ; il en parle toujours avec sympathie, se fait communiquer par la chancellerie russe les nouvelles de Paris et ne perd aucune occasion de mettre en lumière les avantages d’une alliance de ce grand pays avec le sien. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait amèrement regretté la guerre qui, en 1854, les a mis aux prises ; il laisse entendre qu’elle eût pu être évitée et qu’elle n’aurait pas eu lieu, s’il avait eu le pouvoir de l’empêcher. Il est cependant douteux que, s’il a exprimé cette opinion dans les conseils de l’Empereur, il ait longtemps insisté pour la faire prévaloir. Les hostilités ouvertes, il n’a plus en vue que la victoire des armées russes.

Du reste, on le voit en des circonstances moins solennelles se montrer indépendant et sortir du sillon où marche son père. Il existe à la Cour un personnage, favori de l’Empereur que celui-ci « a élevé du plus bas au plus haut » et qu’il a même nommé général en récompense des services d’ordre intime qu’il a reçus de lui. Complaisant servile du maître et confident de ses affaires secrètes, ce général garde et fait élever sous son