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déjà surprenant ; qu’après Guidobaldo et Varano, il ait pu tromper Vitellozzo et les Orsini, c’est tout à fait étrange ; mais qu’après l’assassinat de Vitellozzo même et des confédérés, il ait pu séduire, une seconde fois, quelques-uns des chefs du parti Orsini et Guido lui-même dans cette dernière rencontre, cela passe les bornes du possible rationnel, et nous n’y pourrions croire, si les documens authentiques de la première heure et le consentement unanime des contemporains n’étaient là pour l’attester.

On ne peut l’expliquer que par la possession d’un fluide magnétiseur fait d’éloquence, d’enjouement et de grâce, qui enlève à l’adversaire ou interlocuteur une partie de ses moyens de contrôle et de son sens critique. Et l’on est d’autant plus fondé à le croire que ses maléfices n’opèrent pas de loin. Malgré tous les amis ou ambassadeurs qu’il entretient auprès des grands, il n’arrive pas à les persuader, s’il ne peut plaider lui-même, en personne. La partie est presque perdue pour lui auprès du roi de France, à Milan, ou du moins bien compromise : quand il paraît, il sauve tout. Les confédérés de la Magione, loin de lui, voient clair dans son jeu : à mesure qu’il peut les approcher, un à un, il leur brouille la vue. Les Florentins auxquels il ne peut parler directement ne tombent pas dans ses filets. Machiavel seul, étant sous son regard, est sous son charme ; aussi conseille-t-il à ses concitoyens de lui céder. Ceux-ci sont probablement très inférieurs, en génie politique, à leur « secrétaire. » Mais étant hors de la portée de César, ils sont hors de son rayon fascinateur. Ils ne font rien de ce qu’il veut et font bien.

Toutefois, il y avait autre chose que de la suggestion hypnotique dans l’emprise de César sur ses ennemis : il y avait un solide système politique. En disant qu’il poursuivait la grandeur de l’Église, le Valentinois mentait sur ses intentions véritables, mais disait la vérité quant au fait. C’est pourquoi Alexandre VI mort, sa fortune ne croula pas tout d’un coup, ni même aussi vite qu’on aurait pu le croire. En travaillant pour soi, il avait aussi travaillé, momentanément tout au moins, pour la papauté, et le Pape nouveau, si différent fût-il de l’ancien et si ennemi, ne poussait pas la contradiction jusqu’à vouloir perdre ce que l’autre avait gagné. Peut-être même que les moyens employés pour la conquête des Romagnes commen-