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plus redoutable, privé de l’appui pontifical. Sans doute on pensait qu’il réagirait encore : il n’avait pas perdu tous ses partisans et le coup qui le frappait avait tant de fois été escompté qu’il avait dû prendre des mesures pour y parer. Et, en effet, il en avait pris. Mais ces mesures supposaient qu’au moment du danger il serait en état d’agir : or, sa maladie survenant en même temps que la perte d’Alexandre VI l’en empêchait. — « J’avais tout prévu sauf cela, » dira-t-il plus tard, témoignant ainsi de peu d’esprit philosophique, car les prévisions de l’homme étant limitées et les combinaisons des choses infinies, il est vain de croire qu’on les a toutes prévues moins une, pour cette raison qu’une seule arrive de toutes celles qu’on n’avait pas prévues.

La philosophie n’était pas son fort : la décision, aussi, lui manqua. Malgré son énergie et la fidélité de quelques partisans qui sentaient, à l’idée de sa chute, leur tête vaciller sur leurs épaules. César ne parvenait pas à remonter le courant contraire des événemens. Il se perdait en efforts multiples et contradictoires. Le 22 septembre, les cardinaux, secouant son joug, nommaient un Pape qui n’était point de ses amis : — « il sera juste l’opposé d’Alexandre VI, » disait Ghivizzano, — et, ce vieux Pape étant mort quelques jours après, la tiare échéait au cardinal Giuliano della Rovere, qui était depuis longtemps son ennemi. César, qui ne s’y était pas résolument opposé, qui y avait même contribué au dernier moment, se jetait de lui-même dans la gueule du loup.

Au contraire, pour Guidobaldo, c’était le retour le plus complet qu’il pût souhaiter de la fortune. Le nouveau Pontife était le beau-frère de sa sœur, l’oncle de son héritier et son protecteur naturel. Aussi, ne fut-il pas très surpris, tandis que, pour expulser les derniers partisans des Borgia, il s’occupait au siège de Verrucchio, d’apprendre que le nouveau pape Jules II le mandait à Rome. L’affaire pressait, semble-t-il, et ne souffrait pas de retard. Il partit aussitôt pour le Sud et, après s’être arrêté à Urbino, le temps de rendre grâce à Dieu et de voir son peuple, il s’achemina, par la via Flaminia, vers la Ville Éternelle. Il était en petit équipage, mais les pensées qui le précédaient embellissaient l’horizon. Il refaisait, malade, épuisé, mais triomphant, la route que César avait faite un an et demi auparavant pour venir le chasser de ses États et lui tordre le