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des « singeries » et des « grotesques. » Nous ne savons pas si le jeune homme à ses heures perdues a fait beaucoup d’études d’après la Naissance de Louis XIII ou le Gouvernement de la Reine ; je ne me souviens pas qu’il en reste une trace dans ses dessins ou dans son œuvre. Ce qu’il devait préférer dans le Luxembourg, c’est le jardin demi-sauvage et mal entretenu, et ses biographes nous disent qu’il aimait par-dessus tout les jardins mal peignée. Et l’on ne voit pas en effet tout d’abord quel rapport il pouvait y avoir entre le maître tout-puissant de la Flandre héroïque et le rêveur, le mélancolique, le phtisique Watteau. C’est bien pourtant le même sang qui coule dans leurs veines et qui reparaissait chez l’apprenti du Luxembourg, avec cet affinement extrême qui est propre aux « fins de race. » Watteau le savait bien, qu’il était de la famille. A ses derniers momens, dans ce jardin de Nogent, où le recueille son cher Julienne, le frère de celui-ci, je crois, l’abbé de Julienne, lui porta pour le consoler deux tableaux de Rubens : c’était un Crucifix et un tableau d’enfans. Il nous dit avec quelle piété et quelle humilité le mourant contempla ces œuvres du grand maître. Ce fut sa dernière joie de peintre. Il expira quelques jours après, un jour d’été, à la campagne, et il aurait pu dire comme un autre grand artiste, qui lui ressemble un peu par le charme qu’il prête aux femmes et par l’amour de la musique : « Nous irons tous au ciel, et van Dyck sera de la partie ! »

Un Flamand : en son temps personne ne s’y trompa. On le reconnaît aussitôt, et, depuis soixante ans, ce n’était pas chose nouvelle qu’un jeune Flamand de plus qui venait à Paris. C’est avec des Flamands, un Spoede ou un Wleughels (le fils du Wleughels de tout à l’heure) qu’il se lie à son arrivée, et ce sont eux qui l’aident à se tirer d’affaire. Ses premiers petits tableaux de scènes militaires, ses Bivouacs, ses Recrues allant rejoindre leur régiment, qu’il présente à Sirois, le marchand du Pont-Neuf, à l’enseigne du Grand Monarque, — tableaux de circonstance, car on était alors, comme aujourd’hui, en pleine guerre, au lendemain d’Oudenarde, à la veille de Denain, — Sirois les prend tout de suite pour de « bons tableaux flamands ; » et La Fosse, le meilleur décorateur du temps, le jour où Watteau, timidement, ses petits tableaux sous le bras, se présente à ! ’ « agrément » de ces messieurs de l’Académie,