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« demande ; » il est volontiers cosmopolite. Le type, si l’on veut, en sera ce Froissart, tellement universel ou international, tellement étranger à l’idée de patrie qu’il est également à l’aise en France, en Angleterre, en Navarre, en Écosse, et qu’à force de refléter tour à tour tous les partis, il nous offre l’image la plus complète de son temps. Il y a donc partout en France, et surtout à Paris, des nuées de ces Flamands qui travaillent pour la cour ou pour les grands seigneurs. Charles V en emploie, témoin ce Jean de Bondol, dit aussi Jean de Bruges, l’auteur du frontispice de la Bible de Vaudetar, et qui dessina les cartons de la fameuse tenture de l’Apocalypse d’Angers, que tout le monde a vue au Petit Palais en 1900. C’est un Flamand, Jean Pépin de Huy, qui taille à Saint-Denis l’image de Robert d’Artois. C’en est un autre, André Beauneveu de Valenciennes, qui sculpte celles des trois premiers souverains de la maison, Philippe VI, Jean le Bon et son fils Charles V. — Celui-ci est un maître et il fait à la cour figure considérable, ce « Maître Andrieu, dit Froissart, dont il n’avait (n’y avait) meilleur ni le pareil en nulles terres, ni de qui tant de bons ouvrages feust demouré en France ou en Haynnau, dont il était de nation, et ou (au) royaume d’Angleterre. »

On n’attend pas ici que j’énumère les noms flamands que nous révèlent les comptes du Roi et de ses frères, tailleurs d’images, enlumineurs, orfèvres, Jean ou Hennequin de Liège, Jacquemart de Hesdin, ou ce Jacques Coene, de Bruges, « demeurant à Paris, » préoccupé de recherches sur la peinture à l’huile, et auquel on a pu attribuer avec vraisemblance un des beaux manuscrits du siècle, les Heures de Boucicaut, entrées naguère avec le musée Jacquemart-André dans les collections de l’Institut ; et il y en a d’autres en province, à Lyon ou à Troyes, où les archives, en deux siècles, signalent plus d’une centaine de ces noms d’immigrés. Les princes les emploient au même titre que leurs sujets, les Raymond du Temple, les Guy et les Drouet de Dammartin, les Jean de Saint-Romain, qui se partagent avec Beauneveu ou Marville les laveurs des Valois. Ils prennent une part active à ce progrès qui pousse les arts à la conquête du monde réel : leur tempérament de Flamands, leur vocation de réalistes font merveille dans ces voies nouvelles ; mais c’est une vocation qui s’est révélée à Paris.