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l’art pendant deux siècles. Les Valois ont le goût le plus vif pour ce genre d’images d’après le vif. Nous avons conservé le portrait de Jean le Bon, fait peut-être par son peintre et « varlet de chambre » Girard d’Orléans. Les portraits de Charles V abondent. Nous connaissons aussi son frère de Bourgogne, avec son air de bon vivant. Quant au Duc de Berry, c’est certainement un des hommes qui ont poussé le plus loin la manie du portrait : sa personne, son entourage, ses châteaux, son service de table, ses habitudes et son visage de Mécène sensuel et bouffi, ses costumes, ses chapeaux de fourrure, ses joyaux, ses maisons de plaisance, il n’est rien de tout cela qui ne nous soit rendu familier par les merveilleuses peintures des manuscrits de sa « librairie, » les plus belles sans doute qui existent, et telles qu’aucun Médicis ne peut se vanter d’en posséder de comparables parmi ses plus précieux trésors. Il suffit de rappeler le plus illustre de ces livres, ces Très riches Heures de Chantilly, l’une des gloires du musée Condé et de l’Institut de France qui en est le gardien ; il suffit, dans ce livre, de feuilleter les premières pages, celles du calendrier qui ouvre le volume, et qui représentent, sous chacun des mois ou des demeures du soleil, la vue d’une des résidences du prince ; il suffit de considérer au hasard une seule de ces pages, d’une beauté et d’une poésie qui n’ont pas été dépassées, — soit le triste Février avec l’atonie de son ciel noir sur la lividité de la neige, soit le ravissant Avril, plus piquant et plus gracieux qu’aucun chef-d’œuvre de Gentile ou de Pisanello, soit la chasse de Décembre et ses rousseurs d’automne autour du donjon de Vincennes. En moins de soixante ans, depuis le portrait de Jean le Bon, on voit les immenses progrès accomplis dans ce domaine de l’imitation de la réalité. L’art de peindre est là tout entier avec toutes ses ressources ; le programme du « portrait » appliqué à tout le champ de l’observation a été parcouru. Nous sommes en 1416 : et il y a déjà dans ce livre fait à Paris, pour un prince français, tout le génie flamand et toute la peinture des van Eyck.

Je n’écris pas ce nom sans raison. En effet, toute cette école parisienne, tout cet art réaliste que nous venons de voir se tonner, se trouvent fort mêlés d’élémens et d’artistes des Flandres. L’artiste, l’ouvrier flamand est souvent d’humeur voyageuse ; il va où il trouve de l’ouvrage, où l’appelle la