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à l’ordre du président, aux frénétiques applaudissemens de toute la salle, — parvenait malgré tout à dominer le tumulte :

« Oui, répétait-il, l’Allemagne est sortie des limites du droit quand elle a imposé à la France vaincue ce douloureux sacrifice de se laisser arracher un million et demi de ses enfans.

« Au nom des Alsaciens-Lorrains livrés comme rançon par le traité de Francfort, nous venons protester ici contre cet abus de la force dont notre pays est victime… C’est à la fin d’un siècle qui peut à bon droit passer pour un siècle de lumières et de progrès que l’Allemagne prétend nous asservir et nous réduire en esclavage. (Rires dans la salle.) N’est-ce pas, pour un peuple, un esclavage moral intolérable que d’être livré, contre sa volonté, à une domination étrangère ? Des êtres raisonnables, des hommes, ne se vendent pas, ne se livrent pas comme une marchandise ; un tel pacte est contraire au Droit.

« D’ailleurs, en admettant même, — ce à quoi nous nous refusons, — que la France eût le droit de nous céder… un contrat ne vaut, que par le libre consentement des parties ; or, c’est l’épée sur la gorge que, saignante et épuisée, la France a signé notre abandon. (Eclats de rire dans la salle.) Non, ce n’est pas de sa libre volonté qu’a agi la France, mais bien sous les violences d’un conquérant, et les lois de notre pays tiennent pour nul un consentement obtenu par violence.

« Pour donner à la cession de l’Alsace-Lorraine une apparence de légalité, le moins que vous pouviez faire, c’était de soumettre cette cession à la ratification du peuple cédé.

« Un célèbre jurisconsulte, le professeur Bluntschli, de Heidelberg, dans son Droit international codifié, article 285, enseigne ceci : « Pour qu’une cession de territoire soit valable, « il faut la reconnaissance par les personnes habitant le territoire cédé et jouissant de leurs droits politiques. Cette « reconnaissance ne peut jamais être passée sous silence ou « supprimée, car les populations ne sont pas une chose sans « droits et sans volonté dont on transfère la propriété.

« Ni la morale, ni la justice, continua l’orateur, ne peuvent légitimer notre annexion à votre Empire… Notre raison, notre cœur, tout en nous se révolte ; dans le plus profond de nos cœurs, nous nous sentons irrésistiblement attirés vers notre patrie et, si nos sentimens étaient autres, nous ne serions véritablement pas dignes de votre estime (des Oh ! oh ! oh !