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D’avoir été, dans l’instant opportun, l’interprète, l’artisan de cette nécessité, remercions comme il convient et félicitons, en le nommant par son nom, M. Clemenceau. Quand tout le monde, depuis longtemps, a vu les avantages, l’utilité d’une mesure, si cette mesure n’a pas été prise, c’est qu’elle n’était pas commode à prendre. Veut-on que les circonstances aient servi M. le président du Conseil, et que la fortune, ainsi que de coutume, la fatalité ou la force des choses ait fait la moitié de l’ouvrage ; encore fallait-il faire le reste, et d’abord ne pas laisser passer l’occasion. Ce sera un des titres de M. Clemenceau de l’avoir saisie, et, en la saisissant, d’avoir forcé la décision. La France lui en saura un gré particulier, comme elle lui sait gré, plus généralement, de lui avoir restitué l’image d’un gouvernement de guerre, de faire figure de gouvernement, face à l’intérieur et face à l’extérieur, contre les embûches du dedans et contre le péril du dehors.

Comment cela s’est-il fait ? Et pourquoi M. Clemenceau l’a-t-il fait ? Ce n’est pas que son ministère soit extraordinaire, ni que lui-même fût sans reproches et soit sans défauts. Quoique porté par le vœu de la nation, beaucoup, on s’en souvient, l’ont regardé arriver au pouvoir d’un œil méfiant, à la mémoire de quelques traits de son passé. Et l’on voudra bien se souvenir, en revanche, que nous n’avons pas partagé cette crainte, parce que les circonstances changent les hommes. Au demeurant, ils font rarement une fin tout à fait en rapport avec leur vie ; celle de M. Clemenceau aura été le couronnement inattendu d’une carrière souvent contradictoire. Mais l’instinct populaire avait raison, et nous avons eu raison avec lui. La France avait reconnu le Français. La grande pitié de la patrie a sauvé le polémiste et le démolisseur de son pire ennemi qui était lui-même : il s’est retrouvé, au plus profond de son être, conservateur de son pays et de sa race. Ses aïeux, les vieux Clemenceau de la terre vendéenne, l’ont arraché à sa personne. La voix du sang, l’appel du sol, ont fait ce miracle.

Outre l’unité du commandement, un autre résultat d’une importance considérable a été obtenu, par la fusion, par l’amalgame des troupes, qui conduit dans la pratique à l’unité des armées. On ne parle plus de l’armée anglaise et de l’armée française, mais de l’armée franco-britannique ; et, après la démarche du général Pershing, il faudrait dire : de l’armée franco-anglo-américaine. Nous allons tirer de cette fusion non seulement des bénéfices positifs et réels, en ce qu’elle permet d’utiliser sans délai les contingens américains dont l’instruction s’achèvera vite sur le champ de bataille même ; mais un