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ou bastille, qui la dominait et qui servait au seigneur bien moins à la défendre contre l’ennemi qu’à se défendre lui-même contre elle, s’il était besoin de tenir la populace en respect. Guido décida de les démolir, estimant que la meilleure forteresse pour un prince était « l’amour de son peuple » et que, l’ayant, il n’avait pas besoin d’en avoir d’autre, tandis que l’usurpateur, n’en ayant point d’autre, serait fort penaud d’en être privé.

Inutile de dire si les populations se ruèrent joyeusement à cette œuvre de nivellement démocratique. Il eût fallu des mois, sans le concours du peuple, pour désunir ces formidables pierres. Grâce à ce concours, quelques jours suffirent. Toutes les bastilles du duché d’Urbino tombèrent comme par enchantement et ne se relevèrent jamais. Aujourd’hui, quand on promène son loisir et sa pensée dans ces petites cités où l’on trouve des modèles de toutes les finesses ornementales et de toutes les passions humaines, par exemple à Gubbio, quand on traverse les chaudes et lumineuses solitudes du Palais ducal, c’est à peine si quelques vestiges de murs rappellent que, là-haut, derrière le palais, accrochée à la montagne se dressait autrefois une Rocca redoutable : celle-là même qui, au temps dos luttes du grand Federigo de Montefeltro, brisa l’effort des Malatesta et de Carlo Fortebracci… Guido a été bien obéi : tout a disparu.

Comme on le peut aisément supposer, il ne démolit pas ses propres forteresses, celles que son traité avec César lui conservait, San Leo, Majuolo, Sant'Agata Feltria, Saint Marin : il les fortifia au contraire et y rembûcha toute son artillerie, ses meubles précieux et ses trésors, pensant bien que César déchirerait ses engagemens, dès que faire se pourrait et tenterait de les lui reprendre. En attendant, il fit ses adieux à son peuple, et au milieu des larmes, le 8 décembre au matin, il s’en fut à Città di Castello, chez son ami l’évêque Vitelli, pour se reposer et voir venir les événemens.

Ce furent d’étranges événemens qui vinrent. Même dans ce temps où l’on s’attendait à tout, ils dépassèrent tout ce qu’on attendait. Après deux semaines de négociations assez confuses avec César, qui revenait encore sur son idée de faire de Guido un cardinal, un silence se fit : on n’entendait plus parler de rien, sinon du départ du Valentinois pour la région de Sinigaglia