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fait ? Par où a-t-il passé ? Sur quelle aile a-t-il su glisser si bien dans l’immortalité ? À quel point du zénith s’est-il avisé d’aciellir ? On ne sait pas. On ne sait rien. C’est une mort ascendante, un véritable envolement. Peut-être que plus tard on dira : « L’as des as est un jour monté si haut dans la bataille qu’il n’est jamais redescendu[1]. »

Je me souviens d’un vers étrange lu dans quelque recueil du temps de ma jeunesse, et, par quel privilège, retenu isolément :


Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu…


N’est-ce pas l’image de la force ascensionnelle de cette claire jeunesse ?

Dans le pays, on attend quelque prodigieuse nouvelle : un Guynemer par miracle évadé, un Guynemer reparaissant, un Guynemer ressuscité. « Je veux croire jusqu’aux limites de l’invraisemblable, » a répondu son père averti. Un journaliste qui, dans le Temps, signe ses chroniques militaires lieutenant d’Entraygues, a rappelé ce roman de Balzac où des paysans, rassemblés un soir autour d’une meule, interpellent le facteur qui passe : — Quoi de nouveau, facteur ? — Celui-ci ôte son chapeau, s’éponge : — Rien de saillant, rien. Ou plutôt si, pardon ! on dit à Paris que l’empereur est mort à Sainte-Hélène… — Le travail est aussitôt suspendu, on se tait, puis un grand diable juché sur la meule s’écrie : — L’empereur est mort ! Pff ! on voit bien qu’ils ne le connaissent pas... — Le rédacteur du Temps ajoute : « J’ai entendu un mot analogue, l’autre jour, à la station de départ d’un autobus, en pleine brousse, dans le département de l’Aveyron. Un voyageur, journal en main, annonçait la mort du capitaine Guynemer, tué au cours d’un combat aérien dans les Flandres. Et tout le monde était consterné. Seul, le conducteur de la voiture gardait un sourire sceptique, tout en explorant les bougies de son moteur. L’exploration terminée, l’homme à la veste de cuir rabattit le capot, rangea dans une boîte de vagues lunettes, procéda soigneusement à l’aide d’un chiffon crasseux au nettoyage chimérique de ses mains, puis, se plantant droit devant le voyageur qui tenait le journal, déclara simplement : — Et moi, je vous dis que celui qui « descendra » Guynemer n’a pas encore terminé son apprentissage. Avez-vous compris ?… »

  1. Illustration du 6 octobre 1917.