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s’approche, un de ces beaux soirs de fin d’été où les confins de l’horizon prennent des tons de fleurs, les ombres montent de la terre, et de Guynemer on est toujours sans nouvelles. Des escadrilles voisines, françaises, anglaises, belges, ses frères d’armes viennent s’enquérir. Les derniers avions envolés ont atterri. Personne n’ose interroger les rentrans.

Cependant il faut assurer le service, et la vie continue comme si l’aviation n’était pas en deuil. Tous ces jeunes hommes qui jouent habituellement avec la mort ne manifestent pas leur douleur. Elle est en eux, farouche et rude.

Au dîner du soir, une lourde tristesse pèse sur les pilotes des Cigognes. La place de l’absent est vide : nul ne songe à l’occuper. Quelqu’un, pour secouer cette torpeur, bâtit des hypothèses : Guynemer s’est tiré de tant de chutes, a passé à travers tant de périls ! Son appareil, la veille, n’avait-il pas eu de panne ? Sans doute doit-il être prisonnier. Guynemer prisonnier… Il avait dit un jour, en riant : « Les Boches ne m’auront pas vivant… » Mais son rire était terrible. Personne ne croit à un Guynemer prisonnier. Alors ?… Sur le carnet de vol, à la dernière page commencée de l’emploi du temps, le sous-lieutenant Bozon-Verduraz a inscrit son compte rendu :

« Mardi 11 septembre 1917. — Patrouille. Le capitaine Guynemer, parti à 8 h. 25 avec le sous lieutenant Bozon-Verduraz, disparaît au cours d’un combat contre un biplan au-dessus de Poelcapelle (Belgique). »

C’est tout.


IV. — LA VEILLÉE

Avant lui, d’autres chevaliers de l’air, d’autres as ont disparu, sont morts, les uns chez nous, comme le capitaine Lecour-Grandmaison, comme le capitaine Auger, les autres dans les lignes ennemies, comme le sergent Sauvage, comme le sous-lieutenant Dorme. Il serait le treizème de la liste, si l’on attribue au titre d’as un minimum de cinq victoires contrôlées. Voici l’appel des noms et des chiffres : Capitaine Lecour-Grandmaison, 5 appareils abattus ; maréchal des logis Hauss, 5 ; sous-lieutenant Delorme, 5 ; sous-lieutenant Pégoud, 6 ; sous- lieutenant Languedoc, 7 ; capitaine