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bi-mitrailleuse. En somme, l’appareil et les armes sont en bon état, l’accident de la veille n’est pas à prévoir. Alors pourquoi est-il là ? En l’absence du capitaine Heurtaux, il commande l’escadrille des Gigognes. Plusieurs pilotes sont partis en reconnaissance. N’est-il plus celui qui donne l’exemple ? Déjà les brumes s’élèvent. Et le devoir, comme le jour, resplendit, le devoir auquel Guynemer n’a jamais résisté, qu’il a toujours devancé, du jour où il triomphait à Biarritz des ajournemens jusqu’à ce matin du 11 septembre 1917. Ni le goût de la gloire, ni celui de l’aviation, nont été pour rien dans son premier départ, venu de sa seule volonté de servir ; ils ne seront pour rien dans le dernier, pareillement imposé par sa seule volonté de servir.

Il est résolu. Le sous-lieutenant Bozon-Verduraz qui a souvent chassé avec lui, avec lequel il s’est égaré trois jours auparavant au-dessus de la mer, l’accompagnera. Les mécaniciens sortent les avions. Un de ses camarades lui demande, avec une négligence apparente :

— Vous n’attendez pas le commandant du Peuty et le commandant Brocard ? Ils vont arriver.

Mais Guynemer montre l’espace qui se libère des nuées comme lui-même de son indécision.

Tout le monde, ces derniers jours, a essayé de le retenir, le sentant plus nerveux. Cette conspiration même l’excite, et c’est pourquoi chacun y apporte des ménagemens. Guynemer est intraitable. Il est l’enfant gâté de l’aviation. Il peut prendre à rebours le souci qu’on lui manifeste. Il n’accepte pas qu’on montre plus de soin de son existence que de n’importe quelle autre. Il est malaisé à manier et, pour s’y risquer, il faut user de beaucoup de prudence et de mesure. Cependant le commandant du Peuty et le commandant Brocard, qui ont plus d’autorité, ont été prévenus de cet état d’esprit. Ils veulent voir Guynemer, ils se hâtent. Ils arriveront au camp d’aviation à neuf heures du matin et le réclameront sans relard. Or, Guynemer et Bozon-Verduraz se sont envolés à huit heures vingt-cinq.

Les deux aviateurs s’éloignent de la mer, gagnent vers le Sud-Est. Ils se rapprochent des lignes, passent au-dessus de Bixchoote et du cabaret Korteker que nos troupes ont conquis le 31 juillet. Ils suivent dans les airs la route de Bixchoote à Langemarck, ils survolent Langemarck dont les Anglais se sont emparés le 16 août. Les tranchées, les débris d’anciennes voies