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connaît sa compétence technique, lui découvrant un peu de nervosité, ose, pour la première fois, et bien timidement, et sans insistance, faire allusion à un autre avenir :

— Ne pourrais-tu rendre aussi des services dans les questions de matériel ?

Mais les yeux de Guynemer ont posé sur lui un regard gênant. Toutes les interventions qu’il a réclamées de son père ont servi à le mieux exposer :

— Aucun homme n’a le droit de se retirer du front, tant que dure la guerre. Je sais très bien ce que vous pensez. Le dévouement n’est jamais perdu. Ne parlons plus de ça…


Le mardi 28 août, Georges Guynemer, venu à Paris après sa victoire du 20 août pour de nouvelles réparations à son appareil, se rend à Saint-Pierre de Chaillot. Ce n’était pas là une visite exceptionnelle. Il aimait à s’y recueillir avant la bataille, à s’y préparer. Un prêtre l’a révélé depuis lors : « Je suis dans mon rôle de prêtre, a-t-il écrit, en disant aujourd’hui sa foi en Dieu et la clarté de son âme[1]. » Les habitués de Chaillot le connaissent, mais toute curiosité serait déplacée dans le saint lieu, et il peut se croire ignoré. Après qu’il a rempli ses devoirs religieux, il cause volontiers quelques instans dans le petit bureau de la sacristie. Causerie rendue plus intime et plus grave par le ton qu’y prennent naturellement les pensées, bien qu’il ne soit pas l’homme des méditations et des longues prières.

— C’est fatal, dit-il avec son autorité mêlée d’enfantillage, je n’y échapperai pas.

À quoi donc n’échappera-t-il pas ? Et se souvenant de ses études, il précise en latin :

Hodie mihi, cras tibi


Les premiers jours de septembre, à la veille de son départ pour les Flandres, — car si son appareil n’est pas encore réparé, le service l’appelle, — il rencontre sur le pas de l’hôtel Édouard-VII un de ses camarades de Stanislas, Jacquemin, qui est artilleur : « Il m’emmena dans sa chambre, rapporte Jacquemin, et nous passâmes une bonne heure ensemble à bavarder,

  1. Croix du 7 octobre 1917, article de Pierre l’Ermite.