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de remporter sa quarante-septième victoire. « J’ai eu trop de chance, me disait-il, j’ai la sensation qu’un de ces jours je vais y rester. — Mais non, lui disais-je, j’ai une confiance illimitée en toi, je suis sûr qu’il ne t’arrivera rien. » Il souriait, sceptique, mais cette idée le poursuivait et il évitait tout ce qui pouvait lui retirer une partie de son énergie et de son calme, voulant apporter dans l’accomplissement de son métier de « chasseur de boches » la plénitude de ses facultés[1]. »

Quand a-t-il cessé de se croire invincible ? De sa blessure de Verdun, il s’est remis, dans les airs, on se rappelle comment : en se soumettant au tir ennemi sans riposter. Il a été « descendu » huit fois, plus qu’aucun autre, et chaque fois il a eu le temps d’y penser. Combien de fois est-il revenu à l’aérodrome avec des balles dans son appareil et jusque dans ses vêtemens ? Jamais ces menaces n’ont eu le pouvoir de peser sur sa volonté. Jamais elles n’ont ralenti son ardeur, ni diminué sa fureur dans l’attaque. Mais s’est-il jamais cru invincible ?

Il a confiance en lui et il sait qu’il n’est qu’un homme. L’un de ses amis les plus inlimes, son rival de gloire aux Gigognes, le plus rapproché depuis la disparition de Dorme, celui que j’ai appelé l’Olivier de ce Roland, a reçu un jour son étrange confidence. Il a été seul à la recevoir. — Quand nous parlons, m’a dit un autre, nous ne songeons qu’à nous battre. Cela est assez absorbant. — Mais Guynemer a dit à celui-là :

— Quand on met le moteur en marche, je fais un signe aux camarades.

— Un petit signe, je l’ai bien vu. La poignée de main de l’aviateur. Cela veut dire : au revoir.

Et Guynemer a expliqué en riant à demi pour ne pas donner trop d’importance à ses paroles :

— Ils ne comprennent pas que je leur dis peut-être adieu. Il a dit cela, mais il a ri. Chez Guynemer, l’enfant est toujours près de l’homme.


Les derniers jours de juillet, après son cinquantième, de Paris où il surveille la réparation de son avion, il est venu faire une courte visite à Compiègne. Son père qui l’a vu se passionner pour la réalisation d’un type nouveau d’appareil et qui

  1. Notes inédites de J. Constantin.