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UNE ÉTOILE PASSA…


— Nous y voilà, pensai-je. C’est donc ce qui démange Benjamin de rimer.

Ce n’étaient pas les premiers vers que Herz me montrait de sa façon. J’étais son public ordinaire.

— Croyez-vous, reprit-il, que je puisse envoyer ces vers ? Il me semble impossible de s’en formaliser. Vous voyez, je me tiens dans une note impersonnelle : une fée, quoi de plus anonyme ? Je lui donne même des cheveux blonds, afin de mieux la ménager..

On ne pouvait être plus délicat, puisqu’il y avait un mari. Ces poètes se croient irrésistibles.

— Ne craignez rien, lui dis-je. Une dame est toujours flatté d’un compliment.

Eugène Herz avait le caractère le plus haïssable en société, le caractère important. Dans le momie militaire. la vie d’écolo, les camarades ont bientôt fait de mettre au pas ce genre de personnages : on n’y pardonne pas les airs supérieurs. Eugène n’avait pas plus réussi à corriger ce travers, qu’il n’avait eu le pouvoir d’amender sa figure, il avait un nez présomptueux, glorieux, suffisant, péremptoire, menaçant de pointe et de tranchant. Ce nez redoutable sentait la conférence d’une lieue. Eugène était le monologue fait homme. Il avait un terrible besoin d’autorité. On lui eût volontiers passé un peu de fatuité, mais la sienne était doctrinaire, dogmatique, encombrante : il n’y en avait que pour lui. Quelles prétentions n’avait-il pas ? Il se croyait universel ; les vers, l’escrime, la musique, l’équitation, la guerre, pas de sujets dont il ne se crût en état de donner des leçons. Il jugeait de omni re scibili à tort et à travers. Il était en un mot le fils de la poule blanche, — au demeurant, le meilleur fils du monde.

Tel était le rival du pauvre Benjamin. On comprend que ce rival lui causât du souci. Déjà Herz avait au logis accaparé la première place : Benjamin allait-il le trouver encore sur son chemin ?


IV

Mais un changement inopiné allait bouleverser la vie du groupement. Vers la fin du mois de juin, les affaires se gâtèrent à Verdun, Le commandement eut besoin de troupes.