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UNE ÉTOILE PASSA…

dégoûté, — un de ces mousses qui ont roulé dans tous les ports du monde, et qui se donnent des airs d’être revenus de tout :

— Brigett Nichol ? Je l’ai entendue à New-York. C’est là qu’elle était belle, il y a dix ans, dans la Tosca ! Maintenant, elle a la voix bien fatiguée...

Absolument comme on dirait : Ah ! si vous aviez vu Rachel !... et les zouaves, ébahis, se consolaient de ne pas en être, béans d’admiration devant ce gosse qui avait vu tant de choses.

Enfin, dix minutes avant le lever du rideau, les voitures, brûlant le village, grandirent rapidement sur la route et vinrent se ranger devant le théâtre : cinq voitures de maître, les plus beaux équipages de la réserve de l’armée, un vrai train de luxe, dans un halettement précipité de moteurs et une précision de mise en batterie, variante militaire du chariot de Thespis. Et voici des portières ouvertes, une descente de pique-nique, des paletots, des figures rasées en feutres de voyage, les mains tendues aux dames, des sourires curieux qui se collent aux glaies, des froufrous, des voilettes, des tapes pour défriper les jupes, un sautillement de volière sur le sable fin des dunes, des étonnemens de se trouver là, des petits signes à la galerie, et tout un déballage de valises, de malles, de cartons à chapeaux, d’accessoires contenant les costumes et le plumage brillant qui remplaceraient tout à l’heure le « tailleur » ou le « trotteur » du voyage.

— Les voilà ! Les voila !

En un instant, le camp accourt, les baraques se vident ; les parties de cartes s’interrompent, toutes les indifférences jouées se précipitent sur la route. On reconnaissait les acteurs :

— Vive Sylvain !... Eh ! bonjour, Huguenet !

Ils saluaient, ravis, comme des rois de théâtre reconnus sous leur incognito, remerciant de la main leur bon peuple de Paris. Les dames suivaient à petits pas, modestes, moins sûres d’elles-mêmes dans leur tenue effacée de bourgeoises, les yeux baissés sur leurs souliers, l’air attentif au tapis de grillage qu’on avait disposé pour leur rendre plus facile la marche sur le sable. et Lauvergeat, charmant dans sa tunique « numéro un, » toute brillante d’argent sur le bleu-de-roi du chasseur, heureux, un peu gêné, portait précieusement le petit sac de Brigett Nichol.