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japonais, c’est-à-dire si ja me faisais adopter par les parens de ma femme, — En effet : seulement, votre naturalisation vous enlèverait le bénéfice de votre qualité d’étranger. Les fonctionnaires étrangers sont payés au moins deux fois plus que les fonctionnaires indigènes. » Le Japon ne manifestait aucun désir de le recevoir comme fils adoptif ; et fidèle à l’esprit de sa civilisation, que Lafcadio Hearn avait victorieusement opposée à la civilisation occidentale, il le prévint que les droits de citoyen japonais qu’on lui octroierait, — comme, à cette époque, le droit de voyager dans tout l’Empire sans passeport, — entraîneraient un certain nombre de pénibles obligations dont la première serait de s’accommoder du traitement des professeurs japonais. Se persuada-t-il que l’adoption lui ouvrirait l’intimité de ce peuple ? Mais aucune formalité juridique n’était capable de changer la couleur et la forme de son visage. Fut-il séduit par le paradoxe fantastique d’une adoption où aucun Européen ne l’avait précédé ? Cédait-il à l’ambition secrète de son cœur d’avoir une vraie famille, légalement reconnue, dans une vraie patrie ? Obéissait-il encore à son aversion de l’Occident, et ce dépouillement de sa nationalité n’était-il pas comme un suprême défi qu’il lui lançait ? Il est possible que tous ces mobiles soient entrés dans sa décision.

Il la prit à Kobé. Fatigué de l’enseignement et de Kumamoto, il y était venu tâter du journalisme. Mais la vie de ce port ouvert lui était insupportable. Les voix européennes lui déchiraient les oreilles. Les Japonais, dont la politesse et la moralité s’étaient élimées au frottement des colons étrangers, lui paraissaient « plus vils que les apaches du Far West. » Les petits enfans japonais, héritiers d’une courtoisie millénaire, l’insultaient quand il pénétrait dans la vieille ville. Décidément le vieux Japon était bien mort. Alors à quoi bon écrire sur des choses qui ont cessé d’exister ? L’étrange destinée de cet homme le conduisait ainsi à se faire naturaliser citoyen d’un pays qui était pour lui aussi enseveli dans la nuit des siècles que Ninive et Babylone. Il n’en persiste pas moins dans sa détestation de l’Occident. « J’espère voir, dira-t-il après la guerre sino-japonaise, un Orient uni et fortement allié contre notre cruelle civilisation occidentale… J’y aurai un peu aidé comme professeur, comme écrivain, comme journaliste. » Mais le journalisme lui pesait. Quelques amis, et surtout