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la nature. Comme nous les admirions, l’étudiant rentra et ne s’étonna point de trouver sa chambre occupée. Nous échangeâmes nos cartes, et je lui expliquai la raison de ma présence. Il connaissait de vue Mme Koizumi et, de nom, Lafcadio Hearn. Il savait qu’un professeur de l’Université, M. Yone Noguchi, avait publié un livre sur lui, en anglais. Mais il n’avait rien lu de ses ouvrages, bien qu’il fût homme de lettres, lui aussi, et qu’il collaborât à plusieurs de ces petites revues littéraires qui pullulent au Japon. Une indifférence aussi profonde que le silence de ce faubourg semblait recouvrir la mémoire de l’homme extraordinaire dont je venais visiter la maison. Notre hôte involontaire poussa l’obligeance jusqu’à envoyer un domestique voir si Mme Koizumi était rentrée. On nous dit qu’elle nous attendait. Le patron, agenouillé entre son écorce de pin et sa branche d’érable, l’étudiant, mon ami et moi, nous nous fîmes en nous quittant force civilités.

Près de la porte qu’on avait pu entre-bâiller, le fils aine de Lafcadio Hearn nous accueillit : un grand et mince jeune homme dont la figure reproduisait en plus doux les traits délicats de son père, et qui présentait ce contraste saisissant d’un parfait Européen aux parfaites manières japonaises. Sa mère, un peu forte pour une femme du Japon, a été jolie et reste très avenante. Mon ami remarqua que rien n’était plus facile que de me traduire ses réponses, tant elles étaient nettes et précises, et il attribua cette qualité, si rare au Japon, à l’influence de son mari. Je sentis dans sa courtoisie quelque chose de plus que la simple courtoisie japonaise. Elle faisait, me dit-elle, une exception en ma faveur, car sa porte était rigoureusement fermée aux étrangers ; mais elle connaissait les sentimens de Lafcadio Hearn à mon égard, et elle était heureuse de me recevoir chez lui.

Nous étions bien chez lui, en effet, dans cette maison où tout lui est consacré. Petite maison japonaise, mais plus grande qu’elle ne paraît, posée derrière des arbres touffus et devant un jardin dont la lanterne de pierre, les sapins, les cerisiers, les azalées, les bambous, qu’il adorait, ont l’air de regarder attentivement si le maître ne va pas paraître sur la véranda. Quand toutes les portes à coulisse sont ouvertes, on se croirait sous le pavillon d’un bateau, entre deux rives verdoyantes. Sa chambre de travail était la plus reculée de la