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Meldola. Ce qu’elle venait lui dire prouvait qu’il ne s’était pas trompé dans ses pressentimens. Le bruit courait, à Meldola, qu’un second courrier, dépêché par les autorités de Ravenne au Duc, pour presser encore son départ, avait été arrêté par les gens du Valentinois, interrogé et contraint de révéler la retraite du fugitif. Aussitôt, tous les hommes des troupes pontificales s’étaient échelonnés pour couper les issues, notamment, d’un côté, les chemins qui menaient à San Galeato en Toscane et, de l’autre, la route de Ravenne. Le filet était bien tendu. Pour y échapper, il ne fallait pas attendre qu’il se refermât tout à fait : chaque minute qui s’écoulait y ajoutait une maille. Il était six heures du soir. Guido décida de ne pas attendre la nuit et, las de ruser avec le danger, il voulut pousser droit en avant, se jeter en plein territoire ennemi et remettre tout entre les mains de Dieu.

Avec lui, deux de ses gens, le messager vénitien venu de Ravenne et ses trois compagnons et deux guides tentèrent la chance. Entre Castelnuovo et la route de Ravenne, règne un dédale de petits vallons boisés à travers les derniers contreforts des collines qui vont s’abaissant, sillonnées de ruisseaux ou de torrens, assez propices à une marche défilée. Les rochers taillés à facettes et les mamelons ronds où Benozzo Gozzoli déroule, en un long serpent, le cortège étincelant et bigarré de ses Rois mages, peuvent en donner quelque idée. Les fugitifs coupèrent à travers ces vallées et ces collines. Chacun de ces bois pouvait être une embuscade, chaque ravin une souricière. Pendant plusieurs heures, les cavaliers cheminèrent, évitant les maisons, suivant les sentes, masqués par l’ombre grandissante au creux des gorges, en sorte que la nuit tombait, et la route devenait de plus en plus ardue et incertaine, lorsque le pauvre Prince, débûchant des montagnes, s’élança vers la plaine et vers la mer.

C’était le dernier effort à fournir, miais le plus rude. Il pouvait déjà se croire en sûreté, lorsque, tout d’un coup, comme il traversait la grande route de Cesena à Forlimpopoli, à peu près à l’endroit appelé Torre del Moro, il entendit à sa gauche et à sa droite éclater des décharges d’artillerie. Qu’est-ce que cela voulait dire ? On tirait le canon à Bertinoro, à Cesena, à Forlimpopoli, tout le long de la via Flaminia. Sur les collines qu’il venait de franchir, des feux d’alarme s’allumaient, jalon-