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duché et, ayant remarqué que des soldats ennemis déguisés en bergers rôdaient par toutes les passes menant à San Leo, il avait, de son côté, posté des hommes à lui, également déguisés en bergers, sur tous les sentiers par où il soupçonnait que le duc pourrait venir. Pendant toute la nuit, ces différens travestis s’étaient épiés les uns les autres, d’un bord à l’autre des ravins. Tout cela avait été conçu et réalisé avec une telle rapidité que le guet-apens organisé par Borgia se trouvait déjoué. Le duc, rendant grâce au ciel, suivit le guide. À l’aube, la petite troupe atteignait le château de Monte Copiolo.

Là, Dionigi l’attendait avec un dévouement résolu, mais de fâcheuses nouvelles. Les soldats de Borgia venant de Sant'Arcangelo et de Verrucchio, au lieu de marcher sur Saint-Marin, comme on le croyait, avaient occupé les deux seules passes par où l’on pût accéder à San Leo, et des hommes venus de Rimini et de Cesena, bien organisés, l’investissaient de toutes parts. Le chemin était coupé, le combat impossible : il ne restait plus que la fuite. Guido remonta donc à cheval avec ses compagnons, accrus de Dionigi et, dans la même journée, par des chemins détournés, la petite troupe parvint à Sant'Agata Feltria, solide forteresse sur les confins de la Toscane et de la Romagne. Quand ils virent se dresser le cube de pierre, à pic sur son rocher en surplomb, qui regarde encore aujourd’hui la Perticara, il était temps : hommes et chevaux tombaient de fatigue.

L’enfant, surtout, le jeune préfet de Rome, ne pouvait supporter une plus longue chevauchée. Pour ne point l’exposer aux hasards grandissans de la fuite, Guidobaldo résolut de se séparer de lui et de l’envoyer, avec deux compagnons fidèles, par le val di Bagno et la Toscane, jusqu’à Savone, d’où il rejoindrait son oncle, le cardinal de la Rovere, cet ennemi juré du Pape Alexandre VI, qui devait un jour régner sous le nom de Jules II. Quant à lui, le seul territoire sur lequel il put espérer trouver asile était celui de Venise. En montant droit au Nord, sans doute avec un peu de chance atteindrait-il, en une journée, Castelnuovo, qui était une sorte d’enclave vénitienne dans les possessions de Borgia en Romagne. Pour toucher le but, moins il aurait de monde avec lui, plus il avait de chances de passer inaperçu. Il congédia donc ses archers, ne gardant avec lui que ses trois chambellans ou secrétaires, revêtit des bardes de