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Peut-être ce contraste hanta-t-il sa pensée ; peut-être, aussi, qu’il n’y songea guère : ce sont les historiens qui ont de ces loisirs. Il descendit donc, par ces étroites anfractuosités, entre des murailles qu’on appelle des rues à Urbino, et, remontant, puis redescendant au gré des pentes de cette ville qui « se couche de toutes parts, » selon la définition de Montaigne, les sabots des chevaux tâtant le pavé dans l’ombre, il prit la route de San Leo.

Tout en chevauchant, Guido songeait. Il repassait ses souvenirs et voyait s’éclairer, à la lueur de l’événement, bien des points restés obscurs. Cette insistance des Borgia pour que sa femme accompagnât Lucrèce à Ferrare, cette réquisition de l’artillerie urbinate, cette prière que les routes de Cagli fussent réparées, cette réquisition de mille hommes par Vitellozzo qui n’en avait nul besoin contre Arezzo : tout cela qui lui avait paru si singulier et incohérent s’enchaînait fort bien et formait, dès lors, la trame où il venait de se prendre… Il se rappelait, maintenant, un sinistre individu venu à Urbino pour l’assassiner, — il y avait plus d’un an de cela, c’était au mois de février 1501, — un certain Camillo Garraccioli, — oui, c’est bien ainsi qu’il s’appelait !… — qu’on avait dû pendre pour lui inculquer le respect de la vie humaine. Il avait paru, alors, que ce personnage n’était pas mû par son propre génie et qu’une main puissante en manœuvrait les ficelles et l’on avait cru y reconnaître la main de Borgia.. — Il n’hésiterait donc pas devant un guet-apens… Et, encore aujourd’hui, pourquoi cette attaque par le Nord, ces troupes qui avançaient par Verrucchio sur San Leo ? Sans doute, pour le prendre, lui, Guidobaldo !... Il y avait toutes les chances pour que les routes praticables du Montefeltro fussent, déjà, interceptées. Il fallait les éviter, se jeter en pleine montagne, au risque de se casser le cou. Les fugitifs quittèrent donc la route, descendirent dans le torrent de l’Apsa et, par des sentiers détournés, s’acheminèrent dans la direction de Sassocorvaro.

C’est une étrange aventure que de cheminer par les ravins qui entourent Urbino, même de nos jours, même en plein jour. Il y faut quelque attention et quelque adresse. Il y a quatre siècles et à minuit, sur ces damiers bosselés qu’on appelait des routes, ou ces pistes de terre battue, quand on quittait le rocher pour la vallée, on imagine ce que pouvaient être une chevauchée