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ne s’être pas assez pressé, à midi, son parlementaire partait pour Dvinsk ; et, à huit heures du soir, la délégation maximaliste partait pour Brest-Litovsk.

Un gros souci rongeait les Commissaires du peuple ; tant de précipitation dans la docilité suspendrait-elle au moins les mouvemens commencés des armées allemandes ? Mais non : Eichhorn continue de marcher, Linsingen continue de marcher. Tout le territoire que leurs troupes, qui ne rencontreront pas d’obstacle, couvriront en avançant vers l’Est sera autant d’occupé ; tout le matériel, tout le butin qu’ils ramasseront sera autant de pris ; et plus loin ils seront allés en Russie, plus on obtiendra d’elle, plus on lui arrachera. Plus les Allemands approchent de Pétrograd, à quelque distance qu’ils en soient encore, plus ils ont l’air de pousser des pointes vers la capitale, plus le frisson devient fièvre, et la fièvre, délire. La pluie de proclamations se change en déluge ; de plus en plus contradictoires, de plus en plus incohérentes. Résister en cédant tout ; reculer pour ne pas sauter ; mourir, pourvu que ce soient les bourgeois qui meurent. A quoi bon nous empester dans ce cloaque d’un grand peuple tombé subitement en déliquescence ? Allons à présent droit au fait. Le 2 mars, le secrétaire de la délégation maximaliste à Brest-Litovsk informait Lénine et Trotsky qu’à la suite du refus des Allemands de cesser les opérations de guerre jusqu’à la signature du traité, les délégués allaient « signer le traité, sans en examiner les clauses ; » et, le 3 mars, c’était fait, c’était signé.

Personne, parmi les plus insensés, les plus inconsciens des bolchevikis, ne se méprenait sur le caractère, sur la qualité d’un tel acte : « une paix asservissante, » avaient-ils dit ; « la paix la plus humiliante, » disaient-ils ; mais il semble qu’à s’humilier ainsi et à s’asservir, ils aient goûté une espèce de plaisir pervers, et que, dans l’excès de leur démence, méprisant tout ce que les hommes avaient coutume d’honorer, ils aient puisé comme un supplément de volupté. C’était leur exploit d’Érostrate ; eux aussi incendiaient le temple, pour que leur nom, même exécré et flétri, fût célèbre ; car, dans tout anarchiste, il y a un cabotin. Mais le temple était bien brûlé. Voici en effet ce qu’ils acceptaient sans examen, presque sans lecture : 1° La Russie se déclare résolue à vivre désormais en paix et amitié avec l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la Turquie. — Avec l’Allemagne impériale et militariste : « Les parties contractantes cesseront toute propagande, toute agitation contre le gouvernement, les institutions d’État et l’armée. » — Avec l’Allemagne annexionniste :