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tout de suite, aux frontières de l’Allemagne si savamment organisée et si hardiment organisatrice, une Asie dont le caractère fondamental est d’être politiquement inorganique.

Autrement, l’Allemagne aurait « gagné la guerre,  » et ses desseins seraient remplis; ses desseins qu’elle n’a pas toujours déguisés et dont elle n’a pas toujours fait mystère. Le correspondant à Vienne de la Gazette de Francfort écrivait à ce journal, le 13 mai 1913: « Les pessimistes déclarent que, pour arrêter l’expansion slave, il n’y a qu’un seul moyen : démolir les instrumens du panslavisme, écraser les petits voisins et voir si leur grand protecteur permet ou non leur dissolution en tant qu’États, détruire l’Empire russe, installer une série d’États indépendant sous le protectorat allemand et autrichien, entre l’Europe centrale et le reste de l’Empire russe, et donner, par ce moyen, la paix à l’Europe. » Rappelons-nous, en relisant cet aveu, où l’Allemagne voulait aller, et voyons où elle en est. Le « pessimisme » allemand, a, de ce côté, exécuté son projet à la lettre. Si c’était du définitif, et si la guerre devait s’achever par là, la Wilhelmstrasse pourrait, avec le consentement des militaires, faire étalage en Occident d’une modération apparente ou relative. Nous n’en serions pas moins vaincus; et nous fit-on la paix Kühlmann, ou même la paix Scheidemann, et plus encore, la paix Haase, au lieu de la paix Hindenburg-Ludendorff, nous n’en subirions pas moins la paix allemande. Plus elle serait débordante en Russie, moins nous la devrions croire désintéressée, et plus il nous faudrait la vouloir victorieuse par ici. Il n’y aurait plus, dans ce cas, une Europe centrale, équilibrée à gauche par une Europe occidentale, à droite par une Europe orientale. Il y aurait seulement une Europe centrale, prépondérante et sans contrepoids à sa droite, qui ne pourrait être tenue en suspens, en balance et en respect que par une Europe occidentale d’un seul bloc ou mieux par une « alliance » occidentale, dont le bras ne serait assez fort, non pour briser l’Allemagne, mais pour la fixer, que s’il s’articulait, par-delà l’Atlantique, aux États-Unis.


CHARLES BENOIST.

Le Directeur-Gérant, RENE DOUMIC.