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Galicie. Se reconnaîtraient-elles mutuellement une sorte de droit de suite qui prolongerait la juridiction de l’Autriche sur les Polonais en Oukraine, de l’Oukraine sur les Ruthènes en Galicie? La conférence de Brest-Litovsk y a songé; mais il est une vérité à laquelle la naissante Oukraine ferait sagement de songer aussi, tandis qu’il en est temps encore : si elle donne aux Allemands, et aux Autrichiens, qui se sont faits les fourriers de l’Allemagne dans la poussée vers l’Orient, si, aux uns et aux autres, elle donne un pied chez elle, ses frontières ne seront pas tracées qu’ils en auront déjà pris quatre. Alors, mieux vaudrait pour elle n’être jamais née; mieux vaudrait pour l’Europe qu’elle ne naquît pas.

D’une manière générale, et à envisager non plus tel ou tel détail, mais l’ensemble, non plus telle ou telle nationalité, mais tout ce qui, antérieurement, était hier, là-bas, le corps d’un énorme empire, la situation demeure des plus obscures, si même elle ne s’assombrit encore. On avait pu un moment espérer qu’il se formerait, et que l’on aiderait à former, dans certaines régions de la Russie du Sud, à l’aide de certains élémens plus sains, le noyau d’un État régulier. Quoique l’on soit dans une ignorance à peu près complète de ce qui s’y passe, et que l’on n’ait que deux sources d’information également suspectes, des dépêches maximalistes et des dépêches allemandes, il est à craindre que l’anarchie ne l’emporte ou du moins n’ait pénétré un peu partout. Où en est Kaledine, et où est Korniloff? Alexeïeff avance-t-il? Doutoff est-il repoussé? Que sont ces républiques pullulantes de Crimée, du Caucase, de Sibérie? Un péril imminent se dessine en Moldavie, péril qui peut être décuplé demain par une intervention et une intrigue allemande, contre la malheureuse Roumanie, à qui nulle amertume ne sera épargnée. Si l’Allemagne juge que l’armée roumaine reconstituée s’interpose entre elle et le blé, elle n’aura de cesse qu’elle n’ait achevé de l’écraser, ou ne l’ait fait poignarder dans le dos. En attendant, on pille ses dépôts d’argent à Pétrograd, et on arrête sur place ses convois de farine. Ces mêmes troupes russes, avec lesquelles la Roumanie a tout partagé, et qui depuis dix-huit mois ont vécu sur elle, paraissent douter de l’avoir assez trahie. Son roi est menacé, son gouvernement dénoncé, son ambassadeur emprisonné et chassé, ses villes assiégées, ses campagnes saccagées. En revanche, elle reflue en Bessarabie, où elle est obligée, pour sa propre sécurité et pour les nécessités de son ravitaillement, d’aller exercer la police. Ainsi tout se compense, et les destinées trouvent leur voie.