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De nouveau le Grand État-major impérial a été, en ce qui nous concerne, mauvais psychologue, mais il se peut qu’il se soit proposé moins de déprimer « le moral » de la France que de relever celui de l’Allemagne. Il y a des signes, — nous n’en disons pas plus, — qu’économiquement, sous plusieurs rapports, au point de vue alimentaire comme au point de vue financier, et politiquement ou socialement, au point de vue de l’ordre dans les esprits et du travail dans les usines, l’Empire allemand est assez bas, la monarchie austro-hongroise plus bas encore ; et quant à leurs acolytes, la Bulgarie et la Turquie, elles seraient si bas, qu’on ne sait plus où elles en sont. Il y a même des signes des témoignages dignes de foi qui s’accumulent et se précisent le confirment), que le moral de l’armée allemande, quelque peine qu’on ait à le croire, ne serait pourtant plus tout à fait indemne : que le soldat fléchirait un peu sous le poids d’une grande lassitude et d’un grand découragement; qu’à tout le moins il ne serait plus dans une forme telle qu’on n’hésite pas à lui demander un effort qui pourrait dépasser sa volonté, ses forces ou ses espérances. Ne nous leurrons pas d’ailleurs; la mécanique a été si rudement montée que les ressorts ne s’en détendront que lentement. Mais elle est déclenchée, et ils commencent à se dévider. Il n’était pas possible qu’à la longue, les polémiques sur « les buts de guerre » ou les « conditions de paix, » même convenues, commandées et artificielles, et même dans un milieu aussi discipliné, aussi passif que le milieu allemand, ne produisissent pas leur effet. La fraternisation avec les soldats russes infectés de « bolchevisme » avait assurément été une arme redoutable entre les mains allemandes ; mais c’est une de ces armes étranges qui reviennent frapper celui qui les a lancées ; car, pour fraterniser, il faut être deux, et, dans ces échanges de sentimens, on ne donne pas sans emprunter. La première année de la guerre, l’Allemagne, tout entière bandée à son dessein, eût pu impunément pratiquer ce manège : elle ne le pouvait plus la quatrième année. Semer la contagion chez les autres, et n’en rien prendre pour soi, n’est réalisable qui si l’on est certain de s’être acquis une immunité absolue, durable ou renouvelée ; mais, au bout de quatre ans, le vaccin de l’Allemagne était usé. Nous n’avions pas rigoureusement tort, mais nous n’avions pas non plus rigoureusement raison d’écrire dans notre dernière chronique : « Le socialisme allemand, dans sa majorité, est encore docile. » Dans sa majorité, il est encore timide, mais il semble que déjà, ou enfin, il ne soit plus aussi docile.

Ce qui pourrait nous arriver de pis, ce serait de nous exagérer à