Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est que le goût des alimens ne signifie rien quant à leur valeur. Leur sapidité n’est qu’un trompe-l’œil, ou si j’ose dire, un trompe-la-langue. Et, chose curieuse, la partie qui, dans les mets, à bon goût, à celle qui intéresse le cuisinier, est en général celle qui ne nourrit pas. On pourrait, comme l’a observé M. Lapicque, diviser presque chacun des alimens usuels en deux portions : l’une sans goût qui a tout le pouvoir nutritif ; l’autre agréable au palais, mais non nourrissante.

Pour prendre un exemple familier et familial, le bœuf bouilli des tables modestes mais sages, le bon bouilli que méprisent les gens « chics » et qu’ils laissent à leurs domestiques, se réservant le bouillon qui en a pris l’arôme parfumé, n’a pourtant cédé à celui-ci que très peu de sa valeur nutritive. La preuve en est, que si on prend trois lots de chiens, — et dans ce cas, chiens ou hommes c’est tout comme, — nourris exclusivement l’un au bouilli, l’autre au bouillon, le troisième à l’eau claire, ces deux derniers lots mourront rapidement de faim et presque en même temps, tandis que le premier atteindra l’âge le plus avancé qu’on puisse imaginer parmi la gent canine.

Un autre exemple, et non moins caractéristique, de la même règle nous est fourni par la saccharine, ce succédané du sucre, qui fournit aux mets et aux liqueurs un goût identique à celui des parallélipèdes immaculés et cristallins qu’on extrait de la betterave, et qui pourtant ne nourrit nullement, à l’encontre du sucre, excellent aliment.

Le goût n’étant pas un bon critère, il faut donc s’en rapporter à d’autres méthodes pour savoir ce qu’il est le plus utile, le plus économique de manger.

A cet égard, une institution où se trouvent réunis les représentais les plus éminens en France de la physiologie et des sciences de l’alimentation, la « Société scientifique d’hygiène alimentaire » vient d’entreprendre une croisade malheureusement trop peu connue encore. Elle a pour but de faire savoir au public, sous une forme simple, accessible et dénuée de tout appareil rébarbatif, les notions théoriques et pratiques qui lui permettront de mieux traverser ces heures de crise économique.

Il ne saurait être question de commenter ici les tableaux si instructifs publiés par cette société, et où se trouvent condensés les résultats et les chiffres qu’elle fournit au public pour servir de base à l’établissement du budget des familles et au choix d’une alimentation rationnelle.

Au moins puis-je indiquer en quelques mots les idées qui #nt servi de base à ces tableaux.