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— Aussi, n’est-ce que par le mépris qu’on peut y répondre, et c’est bien ce que je fais, je vous assure.

— Votre Majesté croit-elle, demanda La Ferronnays, que les conspirateurs d’ici se fussent entendus avec nos libéraux de Paris ?

— Je n’ai point à cet égard de données positives, répondit l’Empereur. On croit que Benjamin Constant a été chargé de rédiger un projet de constitution pour la Russie, mais je n’en sais pas davantage, et d’ailleurs vous nous connaissez, vous savez que nous avons trop de fierté pour vouloir que des étrangers se mêlent de nos propres affaires. C’est un trait distinctif de notre caractère.

— Cependant, Sire, il paraît qu’il y a eu quelque agitation en Italie, et cela coïnciderait avec ce qui devait se passer ici.

— Oui, on m’en a parlé. On croit aussi qu’il y a eu des ramifications du complot à Dresde, où elles ont été l’ouvrage de quelques Polonais mécontens, et la Hongrie n’en a pas été tout à fait exemple non plus. Au reste, s’il résultait de l’instruction de toute cette affaire des informations qui fussent de nature à intéresser le Roi, je ne manquerais pas de les lui communiquer, de même que je compte sur ses bons offices à mon égard. Pensez-vous, ajouta-t-il après un moment de réflexion, qu’on fit difficulté en France de livrer les coupables que je pourrais réclamer et contre lesquels il y aurait des preuves positives ?

La question surprit La Ferronnays. Comment son interlocuteur pouvait-il supposer qu’en l’absence d’un traité d’extradition, on trouverait en France un gouvernement capable de lui livrer des Français ou des étrangers réfugiés sur son territoire ?

— Ce serait impossible, Sire, répondit-il vivement ; on ne pourrait qu’expulser les étrangers et surveiller les autres. Votre Majesté peut être persuadée que nous n’y manquerions pas ! — Puis, ne voulant pas quitter l’Empereur sans lui donner un avertissement dicté par l’intérêt même qu’il lui portait, il continua : — J’ai du reste la conviction qu’il n’y a pas d’inquiétudes à concevoir pour le moment présent, mais je ne peux m’en défendre pour l’avenir. Ma crainte est fondée sur ce besoin d’innovation, sur ce sentiment général de la nécessité de réformes dans l’administration que je remarque chez les gens les plus dévoués et les plus raisonnables.