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impossible de les radouber, de les armer et de les conduire à temps aux Cinq-Ponts. De fait, dans la journée, trois seulement de ces invalides purent être mises en état. Leur armement comportait un canon de 37 millimètres de marine et une mitrailleuse de Saint-Etienne par embarcation. Mais les affûts manquaient pour les 37 : on en improvisa avec des madriers cloués sur l’étrave. L’enseigne Le Voyer, en qualité de plus ancien en grade, partit le premier à 4 heures du soir avec les trois canonnières rafistolées, laissant à son second le soin de poursuivre l’armement des trois autres.

De Dunkerque à Nieuport, la distance n’est pas très considérable par le canal de Fûmes. Même au train de trois nœuds à l’heure, qui était le train de la flottille et qui est l’allure d’un homme à pied, on pouvait la couvrir en sept ou huit heures. Mais il eût fallu que la voie fût libre, les éclusiers prévenus. Or ces braves gens dormaient à poings fermés. Ci une heure perdue devant chaque écluse. Pour comble de déboire, le moteur d’une des embarcations se détraque, l’hélice d’une autre s’engage… Bref, à deux heures du matin, on n’était encore qu’à Fûmes où l’on dut stopper jusqu’au petit jour. Et l’on n’avait réparé qu’une des embarcations ! L’autre ne pouvait être dégagée qu’au sec. L’enseigne Le Voyer l’avait prise en remorque. Quand il arriva enfin devant les écluses de Nieuport le 15, vers onze heures, salué au passage par les shrapnells allemands, nos troupes depuis longtemps étaient parties à l’attaque. L’expédition fut renvoyée au lendemain. Mais, comme les éclusiers des Cinq-Ponts avaient quitté leur poste, soumis à « un gros marmitage de 210[1], » et que l’entrée du canal de l’Yser ne nous fut donnée qu’à la nuit, il n’y eut pas moyen d’échouer au sec la vedette engagée.

  1. « Si, entre Dunkerque et Furnes, les éclusiers sommeillaient, aux Cinq-Ponts, ils avaient Juché pied sous un gros marmitage de 210. Où les dénicher ? À quatre heures du soir seulement, après de multiples chasses-croisés à travers les caves de Nieuport, on parvient à mettre la main sur eux. Entré dans le canal de Nieuport à Ypres [Yser] à cinq heures. Pendant la nuit, cinq contre-attaques allemandes à 600 mètres de nous, vers Lombaertzyde. Des balles viennent jusqu’à nos embarcations. Le commandant nous fait coucher dans la cale. Pas de blessés. Mais on crève de faim. Va-t-on nous laisser périr d’inanition ? La nuit passe. Il est quatre heures du matin. All right ! Voici des vivres, mais quels ! De la viande crue (sur des bateaux à essence où on ne peut se permettre de craquer une allumette ! ) un peu de pain et de vin, un litre de rhum. Il était temps : nous n’avions pas mangé depuis Dunkerque, depuis près de quarante huit heures ! » Carnet de route du matelot M