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genoux et dans la plus profonde tristesse. Ensuite il a pris son fils dans ses bras et l’a porté lui-même aux troupes qui avaient témoigné le désir de le voir. Les soldats se sont jetés à genoux et ont tous prêté serment à ce jeune Prince comme héritier du trône. L’empereur ne s’est couché que très tard ; il a parcouru la ville à cheval et a visité lui-même tous les postes. Ce matin, il a encore été voir les troupes. On a célébré l’office divin sur la Grande Place et, à onze heures, tous les régimens sont retournés dans leurs casernes. Sa Majesté a fait grâce entière à tous les simples soldats qui ont reconnu leur faute. Tous ont été conduits ce matin au Château. Ou leur a encore expliqué tout ce qui s’était passé entre le grand-duc Constantin et l’Empereur ; tous ont prêté leur serment et sont rentrés dans leurs régimens. Le grand-duc Michel a déjà fait manœuvrer ce matin les marins de la Garde. Il ne manquait dans les rangs que ceux qui ont été tués ou blessés hier au soir.

« Cette grande indulgence de l’Empereur a produit sur les troupes la plus heureuse impression ; et cette indulgence n’aura point les inconvéniens de la faiblesse, parce que les chefs de cette insurrection, fort ridiculement conduite, mais beaucoup plus sérieuse qu’elle ne le parait, sont connus, arrêtés et n’ont aucun pardon à espérer. »

Il en est un cependant qui devait échapper au châtiment qu’il avait encouru : c’est le prince Troubetzkoï dont la participation au complot, lorsqu’elle fut connue, avait causé dans le monde de la cour et dans le corps diplomatique autant de tristesse que de stupéfaction. Il était le gendre du comte de Laval, ancien émigré français et le beau-frère du comte de Lebzeltern, l’ambassadeur d’Autriche. Comme sa demeure touchait à la place du Sénat, théâtre de l’insurrection, il était allé avec sa femme passer la nuit à l’ambassade. Il était couché lorsque le comte de Nesselrode se fit annoncer chez M. de Lebzelten, et lui déclara qu’il s’acquittait avec le plus vif regret des ordres de son maître, mais qu’il était indispensable que le prince Troubetzkoï accompagnât immédiatement le prince Galitzin, aide de camp de l’Empereur, qui avait ordre de le conduire sans délai devant Sa Majesté. Quelque pénible que fût pour l’ambassadeur d’Autriche cette espèce d’injonction, il eut la sagesse de ne point s’y refuser, et fut lui-même éveiller le prince Troubetzkoï, qui se leva, s’habilla et descendit en uniforme et avec son épée.