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y découvrir quelles impressions il ressentit lorsque lui furent connues les intentions de Constantin et la volonté de l’Empereur. Alexandre les lui révéla en 1819, peu de temps avant le divorce du prince héritier et son mariage avec Jeanne Grundzinska. Mais rien encore ne semblait de part ni d’autre irrévocablement résolu. C’est seulement au commencement de 1822 qu’il sut d’une manière définitive que son frère aîné l’avait désigné comme césarewitch, en exigeant le silence sur cette détermination.

À cette époque Nicolas était marié depuis cinq ans à la princesse Charlotte de Prusse, fille du roi Frédéric-Guillaume IV. Elle en avait quinze lors de ses fiançailles, dix-sept au moment de son mariage, Nicolas vingt et un. Ces cinq années semblent avoir été pour ces deux êtres jeunes et beaux des années de bonheur. Mais, s’il faut en croire les aveux qu’ils ont faits à une époque ultérieure, la perspective de régner, loin de les réjouir, aurait assombri leur existence, comme s’ils eussent vu dans la possession du pouvoir une menace pour leur félicité intérieure. Il est dit quelque part que lorsque l’Empereur ou l’Impératrice mère leur parlait de l’avenir qui leur était réservé à la tête de l’Empire, ils ne pouvaient se défendre de soupirer et de verser des larmes. Mais ces aveux sont-ils bien sincères ? Sur le trône, l’impératrice Charlotte a toujours donné l’image d’une femme heureuse. Quant à Nicolas, la manière dont il a pratiqué le pouvoir ne laisse pas de trahir la satisfaction de le posséder.

D’autre part, il faut se rappeler qu’en dépit d’accès de franchise feinte ou réelle, qui contribuaient à le rendre tantôt séduisant et tantôt intimidant, la dissimulation était l’un des traits de son caractère. On en trouve une preuve dans ses rapports avec sa belle-sœur l’impératrice Elisabeth. Il lui témoignait beaucoup d’affection, d’égards fraternels, voire de confiance apparente. Mais on conviendra que dans cette attitude, il y avait une part de comédie si l’on se rappelle qu’en 1817, à la veille de son mariage, sa fiancée lui écrivant de Berlin en vue de la conduite qu’elle devrait tenir vis-à-vis des membres de la famille impériale, en arrivant à Saint-Pétersbourg, il lui répondait : « Ma mère pourra vous donner quelques bons conseils qu’avec la meilleure bonne volonté, il m’est impossible de vous donner. Relativement à l’impératrice Elisabeth, toute attention, politesse et respect, mais pas la moindre confiance dans aucun cas. »