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l’Empereur lui annonça qu’il l’accompagnerait. Il était redevenu tel qu’il avait été aux premiers temps de leur mariage avant que les séductions féminines et les éloignemens auxquels, durant tant d’années, il avait été contraint par la guerre et par ses suites, ne l’eussent détaché de sa compagne. Elle le retrouvait avec ses attentions, ses prévenances, sa sollicitude et, pour tout dire, sa bonté coutumière, cette bonté qui, en 1801, dès son avènement, lui faisait supprimer la torture encore en vigueur dans l’empire, et, en 1813, à propos d’un mouvement séditieux en Pologne, lui faisait dire : « La vengeance est un sentiment qui m’est inconnu et ma plus grande jouissance est de payer le mal par le bien. Les ordres les plus sévères sont donnés à mes généraux d’agir en conséquence et de traiter les Polonais en amis et en frères. »

La ville de Taganrog, petite localité de la province du Don, avait été choisie comme séjour des souverains et allait être le témoin du renouveau qui transformait leur existence conjugale, renouveau tardif que devait briser à brève échéance la mort de l’époux, suivie de près par celle de l’épouse, car il était écrit que ni l’un ni l’autre ne rentreraient vivans dans leur capitale.

Ces drames du destin sont toujours impressionnais, et plus encore lorsque leurs péripéties, se déroulant sur les hauts sommets sociaux, sont visibles de tous les côtés, pour tous les yeux. Celui-ci vaut qu’on s’y attarde un moment : mais avant de le rappeler eu un résumé rapide, nous devons initier nos lecteurs aux circonstances inattendues qui devaient contribuer bientôt à imprimer au changement de règne et à l’avènement z de Nicolas Ier un caractère tragique.

Alexandre n’ayant pas d’enfans, les membres de la famille impériale les plus rapprochés du trône étaient alors ses trois frères, le grand-duc Constantin, héritier de la couronne, résidant à Varsovie en qualité de gouverneur général de la Pologne et rapproché d’âge de son aine ; le grand-duc Nicolas, beaucoup plus jeune, né en 1796 et qu’Alexandre traitait moins comme un frère que comme un fils, et enfin le grand-duc Michel.

De taille très élevée, souple et fort, élégant de gestes, beau de visage avec un regard profond, pénétrant, trahissant l’énergie et la volonté, Nicolas se distinguait, par ces dons corporels, de Constantin à qui la nature semblait avoir pris plaisir à les refuser. Au point de vue intellectuel et moral, la différence