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l’Empereur. Alexandre lui faisait dire que, désireux de lui donner dans cette triste circonstance un témoignage non douteux de la part qu’il prenait à la douleur de la famille royale, il ne l’aurait pas invité à un diner de fête ou de cérémonie, mais que celui auquel il le conviait aurait lieu « en très petit comité. »

S’étant rendu à cet appel, l’ambassadeur s’y vit l’objet de l’accueil le plus cordial et le plus compatissant. L’Empereur et l’Impératrice le pressèrent de questions sur les circonstances du crime, sur la santé de la duchesse de Berry. Le bruit qui courait de sa grossesse était-il fondé et restait-il une lueur d’espérance à la branche ainée des Bourbons si cruellement décapitée dans la personne du prince qui seul était en âge de la perpétuer ? Mais l’ambassadeur eut vite fait de comprendre que ces questions, témoignage de sympathie apitoyée, n’étaient que des hors-d’œuvre. En sortant de table, Alexandre l’entraina dans l’embrasure d’une fenêtre et là, sous le père et l’époux qui s’était associé au malheur d’autrui, apparut le souverain qui, dans le forfait de Louvel, voyait une menace contre toutes les races royales et en imputait la responsabilité à la politique du gouvernement français.

« Mon général, rappelez-vous notre première conversation ; dès lors je vous parlai des craintes que me donnait la marche de votre gouvernement ; mon imagination, cependant, n’allait pas encore jusqu’à prévoir des assassinats ; aujourd’hui, je vous l’avoue, mes inquiétudes n’ont plus de bornes. Voilà, mon cher comte, les funestes conséquences des doctrines qui se prêchent avec tant d’impunité, et qui, je vous en demande pardon, prennent toutes leur source en France. On peut s’attendre à tout ; la main de Dieu se relire, il ne reste que sa colère. Il est impossible de ne pas frémir en lisant tout ce qui s’imprime en France ; et après l’avoir lu, on ne peut plus être étonné du crime qui vient d’être commis. Les poignards dei Sand et de Louvel sont trempés au même feu. Etes-vous bien sûr que ce dernier assassin n’ait pas de complices forcenés comme lui, déterminés comme lui à braver l’échafaud pour frapper d’autres victimes augustes ? »

L’Empereur étant sourd, l’obligation de lui parler très haut gênait La Ferronnays pour donner à la conversation les développerons qu’elle comportait. Il se contenta de déclarer qu’il ne