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Qui n’a pas rencontré Georges Guynemer à Compiègne chez ses parens, ne le connaît pas tout entier. Sans doute est-il demeuré, à son escadrille, le gai et confiant camarade que rien ne détourne de son but, mais qui se réjouit du succès d’autrui et qui raconte ses prouesses comme s’il s’agissait de coups de billard ou de parties de cartes. La Renommée ne l’a point grisé. Tout au plus a-t-elle, parfois, bien rarement, créé non pas directement autour de lui, mais dans son voisinage, cette atmosphère un peu lourde qui accompagne presque infailliblement la gloire. Quand il a compris ou deviné quelque vague hostilité, quelque envie, il en a souffert comme si, dans son ingénuité, il découvrait le mal. Vous souvenez-vous, dans le Livre de la Jungle, de Rudyard Kipling, de cette page où Mowgli, le petit d’homme, s’étant rendu compte de la haine dont il est l’objet parmi les bêtes, touche ses yeux et s’effraie de les sentir humides ? — Qu’est cela, Bagheera ? demande-t-il à son amie la panthère. Et la panthère qui a vécu longtemps parmi les hommes le rassure : — Ne t’inquiète pas : ce sont seulement des larmes. — Un de ceux qui ont pu dire à Guynemer : Ne t’inquiète pas, non, certes, devant l’inimitié qu’il n’a jamais rencontrée, mais pour quelque mauvais germe de jalousie à peine révélé, a pu savoir la profondeur de son ombrageuse sensibilité. Guynemer, alors, se renfermait en lui-même. Son exubérance avait besoin de sympathie.

L’amitié, aux escadrilles, est rude et mâle. Elle ne s’embarrasse pas de formules. Elle ne se montre pas, elle se prouve. Les jeux de la guerre y rappellent les jeux de collège, et l’on en parle de la même façon. Mais, si quelqu’un ne rentre pas, il faut secouer la gêne que tous éprouvent à table devant le couvert inutile. Aucune douleur apparente, aucun éclat : les cœurs de ces jeunes gens sont touchés en dedans. Il faut y pénétrer pour savoir ce qu’ils sont. Les initiés, seuls, les connaissent. Le passant les prend volontiers pour des gens de sport, joyeux et vifs.

Guynemer est dans la vie sans méfiance. Il n’a aucune arrière-pensée d’ambition personnelle. Les honneurs n’ont pas le pouvoir de ralentir son élan : ni après sa rosette, ni après sa cinquantième victoire, il ne songera au repos. Il ignore la pose, l’affectation, l’hypocrisie et même la diplomatie. Il ne sait même pas que cette simplicité lui donne un charme si frais.