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le jour même. Devant les drapeaux présentés, — drapeau de l’aviation et drapeau du régiment de garde, — le jeune capitaine est seul, en vareuse noire, mince, mais long, car il se redresse, le visage un peu pâle, les yeux étincelans. A l’un des angles du camp, un groupe de civils : la famille que le général a envoyé chercher. Voici le général Franche ! d’Espérey. On connait sa silhouette vigoureuse, râblée, énergique. Un journal du front, le journal du 82e régiment qui porte le titre de Brise d’entonnoirs, décrit ainsi la scène : « Le général s’arrête devant ce jeune héros : il le regarde avec joie, le proclame brave entre tous, lui touche, comme aux preux d’autrefois, les deux épaules de son épée, lui remet la rosette d’officier el le serre sur son cœur. Puis, aux accents entraînans et patriotiques de Sambre-et-Meuse, la musique et la troupe défilent devant le nouveau récipiendaire. La cérémonie officielle est terminée. Le jeune officier de la Légion d’honneur va trouver ses parens qui l’ont regardé de loin… »

Le général Franchet d’Espérey, examinant l’appareil de Guynemer, voit les dégâts :

— Comment votre pied n’a-t-il pas été touché ? demande-t-il à l’aviateur en lui montrant un des trous.

— Je venais de l’écarter, répond celui-ci avec son habituelle simplicité dans les miracles, la balle a passé pendant ce temps.

Cette soirée du 5 juillet 1917 fut inoubliable pour les aviateurs avec qui Guynemer mit en commun son orgueil. Le soleil, le dessin pur des collines parallèles au cours de l’Aisne, la bataille lointaine et la jeunesse même de ce prodigieux Invincible, tout contribuait a donner à la fête une beauté dont la plénitude n’était cependant pas sans tristesse. Il s’y mêlait tant de souvenirs tragiques ; des noms destinés à fleurir y revenaient sur les bouches : celui du sous-lieutenant Dorme — Dorme le discret et l’opiniâtre, Dorme le modeste et le noble, — disparu le 25 mai ; celui du capitaine Lecour-Grandmaison, l’organisateur des triplaces, qui, monté sur un de ses puissans chevaux, compta sur l’Aisne cinq victoires et qui fut tué au combat le 10 mai, et ramené par un de ses compagnons, le seul survivant des trois, sur l’appareil en flammes. Gloire à l’aviation de chasse, signifie la rosette de Guynemer, gloire à Heurtaux blessé, à Ménard et à Deullin, à Auger, à Fonck, et à Jailler, à Guérin, à Chapelle, à Baudouin et à tous leurs