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les dépasse toutes. Il a combattu sans armes, rien qu’avec son appareil, comme un chevalier qui, son épée brisée, manie son cheval et accule l’adversaire. Quelle scène ! le pilote et le passager allemands, prisonniers, constatant que la mitrailleuse de Guynemer ne pouvait pas fonctionner ! Une fois de plus, il a imposé sa volonté. Sa puissance de domination a fasciné l’ennemi…

Quittant la Somme après six mois de luttes, au début du mois de février 1917, les Gigognes émigrent en terre lorraine.


II. — LA JOURNÉE DU 25 MAI (1917).

Le destin d’un Guynemer est de se surpasser. Mais une part de sa force lui vient du perfectionnement de ses armes. Que ne peut-il les forger lui-même ? Le mécanicien et l’armurier sont, chez lui, impatiens de servir le pilote et le combattant. Rien de la science de l’aviation ne lui est étranger. Guynemer à l’usine est toujours Guynemer. Guynemer vérifiant ses mitrailleuses pour éviter de trop fréquens et trop gênans enrayages, rectifiant par une pratique mieux entendue la disposition de ses instrumens de bord et leur outillage, déploie la même tension nerveuse qu’à la chasse. Il veut forcer la matière comme l’ennemi.

Sur la Somme, il a abattu deux avions en un seul jour, puis quatre en deux jours. En Lorraine, il fera mieux encore. L’aviation allemande se montrait alors (début de 1917) très active en Lorraine. Nancy, longtemps, ne s’en était guère souciée. Nancy avait, en 1914, vu l’armée d’invasion se briser contre la montagne Sainte-Geneviève et le Grand Couronné.) Elle avait subi le bombardement des obusiers géans et la visite des escadrilles, le tout sans rien perdre de sa belle humeur et de son animation. Elle était de ces villes du front qui se sont accoutumées au danger et qui peut-être y découvrent une sorte d’excitation au courage, au commerce et même au plaisir à quoi les villes de l’arrière ne sauraient avoir droit. Les dîneurs de la place Stanislas avaient, parfois, l’occasion de se lever de table pour assister à quelque beau combat dans les airs, puis ils reprenaient leur place et leur appétit, remplaçant les crus du Rhin par les vins de la Moselle. Mais la fréquence des incursions et les dégâts des bombes commençaient de rendre aux Nancéens