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pour qu’il se présente à plat. Un choc terrible ! Un arbre plus haut que les autres brise mes ailes droites et me fait pivoter sur moi-même. Je ferme les yeux. Un second choc, moins violent que je n’osais l’espérer : l’appareil s’est mis sur le nez et est venu s’abattre comme une pierre, au pied de l’arbre qui m’avait arrêté. Je défais ma ceinture qui, par bonheur, a tenu, et je me laisse glisser à terre, tout étonné de ne pas sentir des douleurs affreuses. Seule, ma tête est lourde et le sang coule de mon masque. Successivement je respire, je tousse, je remue bras et jambes, ahuri de constater le fonctionnement normal de toutes mes facultés… » Guynemer n’en raconte pas tant. En mathématicien, il calculait ses chances. Mais il coupait, lui aussi, les contacts et, avec le plus grand sang-froid, ordonnait, pour ainsi dire, sa chute. La suite n’est pas moins féerique.

Les fantassins ont vu tomber la pluie d’avions. Le Français arrive à terre avant sa dernière victime en feu. Pauvre vainqueur qui n’aura pas survécu à sa victoire ! Ils se précipitent à son aide, croyant le ramasser en morceaux. Mais Guynemer s’est relevé seul. Il a l’air d’un spectre. Il est debout, il vit. Ces exaltés l’empoignent et le portent en triomphe. Un général de division s’est approché et commande aussitôt une prise d’armes pour lui rendre les honneurs. Et s’adressant à Guynemer :

— Vous passerez la revue avec moi.

Guynemer ne sait pas comment on passe une revue et voudrait bien s’en aller à l’ambulance. Son genou le fait cruellement souffrir :

— C’est que je suis blessé, mon général.

— Blessé, vous ! C’est impossible. Quand on tombe du ciel sans se casser, on est sorcier, il n’y a pas de doute. Vous ne pouvez pas être blessé. Enfin, appuyez-vous sur moi.

Et, le soutenant, le portant presque, il défile avec le jeune sous-lieutenant devant le front des troupes. Des tranchées voisines un chant monte, d’abord étouffé à demi, puis formidable : la Marseillaise. Elle a fleuri d’elle-même sur les lèvres des hommes.

La commotion exige un repos de quelques jours. Dès le 5 octobre, il repart en campagne. Octobre marque, sur la